03 fevereiro 2013

Sobre a correspondência entre A. Comte e C. Vaux

Artigo já com alguns anos, mas muito interessante: "Augusto Comte e Clotilde de Vaux: as confidências do 'ano sem par' (abril de 1845-abril de 1846)" (original aqui). Nele a autora - a pesquisadora da vida e da obra de Augusto Comte, a francesa Annie Petit - apresenta alguns dos principais traços da correspondência mantida entre Augusto Comte e Clotilde de Vaux, em termos de idéias e estilos, bem como  a evolução dessa troca de missivas ao longo do curto período de tempo em que se manteve (cerca de um ano).

Essa correspondência é importante porque registra a evolução afetiva que aqueceu o coração de Augusto Comte e conduziu-o resolutamente à criação da Religião da Humanidade, a religião humanista do Positivismo.


Ele com 47 anos, ela com 30; duas pessoas sofridas, abandonadas por seus cônjuges - no caso dele, por uma ex-prostituta que insistia em manter suas ligações extraconjugais; no caso dela, por um fiscal da Receita que roubou fundos públicos e privados e fugiu para o exterior, deixando a esposa na miséria -; aos sofrimentos do coração juntavam-se os do corpo, pois Clotilde tinha a saúde muito frágil e Comte somatizava as preocupações intelectuais e afetivas.


A partir da identificação de problemas comuns, Comte amou Clotilde com grande intensidade e estava disposto a tudo para ter sua companhia; Clotilde manteve-se firme, aceitando a amizade e o apoio do filósofo, embora progressivamente se tenha aberto para ele. A família de Clotilde, entretanto, controlava rigidamente as finanças da moça, o que gerou atritos entre a família de Clotilde e Comte. 


Comte apoiou Clotilde do início ao fim, inclusive dando sugestões estéticas e filosóficas para a nascente carreira literária de Clotilde, que ela tentou seguir a fim de emancipar-se financeiramente.


Um ano, entretanto, foi pouco tempo para a saúde da moça melhorasse e para que suas condições materiais  restabelecessem-se. Tendo-se conhecido em meados de 1844, a correspondência iniciou-se em abril de 1845 e ela faleceu em abril de 1846. A leitura desse texto - e, ainda mais, da própria correspondência - é realmente tocante.


*   *   *




 Annie Petit —Université Paul-Valéry, —Montpellier III

Auguste Comte et Clotilde de Vaux :
les confidences de "l'année sans pareille"
(avril 1845 - avril 1846)

              L'abondante correspondance d'Auguste Comte[1] permet de mieux comprendre les complexités d'une oeuvre qui incite aux interprétations contradictoires. Lorsqu'on parle d'Auguste Comte en effet, s'impose d'une part l'image d'un petit homme austère, sévère, redingoté et cravaté de noir, celle d'un philosophe systématique, auteur d'énormes traités dont l'ampleur et la forme, la lourdeur en poids et en style, ont découragé bien des lecteurs. Lui fait pendant, et apparent contraste, l'image d'un homme qui, comme bien d'autres en ce temps, se présentait en prophète, mêlant à ses lamentations ses anathèmes contre l'anarchie des temps post-révolutionnaires, prônant la réorganisation spirituelle et temporelle de la France, de l'Europe, et même du monde, en sociétés devenues "républiques positivistes" où tous et toutes seraient ralliés par une nouvelle religion positiviste de l'Humanité. La conjonction de ces images du personnage et de son oeuvre est particulièrement éclairée par la correspondance du philosophe dont l'esprit systématique s'entremêle de certain romantisme débridé. Et l'on découvre combien le rigoureux polytechnicien, apparemment si sûr de ses idées, de sa méthode et de sa mission, a souvent ressenti et exprimé les difficultés d'être, et éprouvé lui aussi ce mal du siècle tout en s'appliquant à leur livrer bataille. La correspondance la plus significative en ces matières est sans aucun doute celle de l'année désignée par Comte comme "l'année sans pareille", au cours de laquelle il a connu, aimé et vu mourir la jeune femme qu'il promeut aussitôt comme son "ange inspirateur" : Clotilde de Vaux. Entre déclarations et rétractations, aveux parfois échappés, parfois très consciemment analysés, les semi-amants confessent leur mal d'être et leurs luttes parfois désespérées.
              Lorsque Clotilde de Vaux rencontre Auguste Comte[2], elle a trente ans. Elle a été séduite et abandonnée par un mari sans scrupules qui, ayant perdu au jeu sa fortune — et celles de quelques autres — a fui les poursuites judiciaires par-delà les frontières. Clotilde est restée seule, deshonorée, sans ressources, complétement dépendante de sa famille. Elle est donc malheureuse, victime des circonstances et de sa condition féminine. De plus c'est une femme inaccessible, toujours légalement liée à celui qui l'a délaissée. A tous ces malheurs, s'ajoute une santé fragile, fragilisée par les épreuves. Et la délicate jeune femme, romantiquement belle — teint de lait, yeux émeraude et chevelure en bandeaux châtains — est aussi fort romantiquement phtisique.
              Auguste Comte a quarante-sept ans lorsqu'il rencontre Clotilde de Vaux. Il enseigne à l'Ecole polytechnique, il a déjà beaucoup publié et il est un philosophe connu[3]. Sa vie publique n'est cependant pas brillante car il s'était fait des ennemis puissants[4]. La vie privée de Comte avait été houleuse : il s'était marié en 1825, sans le consentement de ses parents, avec une jeune femme qu'il a dit avoir voulu arracher à une vie dissolue. La vie du couple fut agitée : fugues et retours repentants de la femme ; ébranlements dépressifs du mari[5]. Les époux se sont séparés définitivement en 1842. Bref, fin 1844, Auguste Comte est seul et, malgré le soutien de quelques disciples et amis très dévoués, sa situation est peu assurée.
              La première lettre de Comte à Clotilde date du 30 avril 1845. Puis jusqu'à la mort de Clotilde le 5 avril 1846, presque toute la correspondance de Comte lui est consacrée[6]. Les échanges de lettres sont pour ainsi dire quotidiens et comportent parfois plusieurs billets par jour — on ne constate que de très rares interruptions d'une semaine à dix jours au plus, lors des moments cruciaux de leurs relations. Il faut tenir compte aussi des visites : deux fois par semaine d'abord chez les parents, puis visites de l'un chez l'autre de plus en plus fréquentes.
              Les difficultés d'être dont s'entretiennent Auguste Comte et Clotilde de Vaux sont d'abord d'ordre matériel, financières et sociales à la fois : on ne saurait négliger ces conditions extérieures génératrices de bien des tourments de l'âme ; s'y entremêlent les confidences d'amours difficiles et douloureuses, et bien que l'un et l'autre les vivent comme des expériences originales et inouïes, on y reconnait bien des formulations d'un "mal du siècle" largement partagé. Pour surmonter leurs souffrances, l'un et l'autre se livrent à un travail exemplairement complexe de sublimation.

Difficultés de vivre

Les infortunes et leurs vertus
              Bien qu'il ait été un des plus brillants élèves de l'Ecole Polytechnique, Auguste Comte y fait une carrière difficile, on peut même dire une carrière à rebours. Il a perdu son poste d'examinateur d'admission en 1844, et il n'exerce plus à l'Ecole que les fonctions de répétiteur[7]. Ses appointements, sur lesquels il prélève une substantielle pension versée à sa femme, sont modestes. Ses difficultés financières sont chroniques.
              L'infortunée Clotilde se heurte aussi à multiples difficultés. Elle vit dans une économie très stricte, sous contrôle sévère de ses proches : la pension dont elle vit est reçue et gérée par ses mère et frère qui payent son loyer ; elle prend ses repas avec eux ; bref, elle ne dispose pas de sa pension et ne reçoit qu'un argent de poche qui lui est strictement compté[8]. Elle ressent cruellement sa dépendance, aspire à l'émancipation[9]. Comte l'encourage à prendre sa "juste liberté personnelle", à échapper au "despotisme maternel", à refuser le "communisme domestique"[10] ; et, quelles que soient ses propres gênes, il ouvre sa bourse ; Clotilde doit faire assez souvent appel à sa sollicitude[11].  
              Ces difficultés matérielles sont ainsi occasions d'échanges où l'un et l'autre trouvent leurs cas exemplaires des conditions sociales et politiques. Ils se voient comme des victimes d'une société qui ne leur donne pas, pas assez tout cas, les dignes moyens de vivre, qui n'entoure pas les vrais penseurs et les femmes des protections nécessaires.  Ils ressentent le poids du social dans leur "triste conformité morale de situation personnelle"[12] : ils souffrent de leur solitude qui n'est cependant pas liberté, et se jugent victimes de circonstances subies "involontairement"[13]. Par ailleurs, le sens de leur exemplarité est paradoxalement renforcé par leur conviction d'être des "cas extrêmes" et des natures "exceptionnelles", ce qui par-delà le statut d'exemples, les érige en modèles. L'un et l'autre et l'un par l'autre, ils se renvoient une complexe image des malheurs qui les abat et les rehaussent à la fois, bref, les subliment.  
              La situation de Clotilde est particulièrement propice aux méditations sur le poids des conformismes et préjugés sociaux et moraux. Auguste et Clotilde sont très vite amenés à discuter ces questions ; un feuilleton publié par Clotilde dans Le National les 20 et 21 juin 1845 sous le titre de "Lucie" en fournit largement l'occasion[14]. Les problèmes de la contrainte sociale, de la condition féminine, de la légitimation du divorce sont au centre des débats. Clotilde/Lucie choisit l'obéissance : elle refuse de se dispenser des lois sociales, bien qu'elle aspire à les changer. Comte entremêle de considérations sociales ses conseils littéraires[15]. Lorsque Clotilde, enhardie par son premier succès, projette une autre nouvelle  c'est encore pour défendre cette morale sociale[16] ;  Comte, ravi, voit en Clotilde la femme "destinée à réparer dignement les ravages moraux résultés aujourd'hui du déplorable emploi du beau talent féminin"[17].

Discrétion - Imprécations
              Mais, par-delà les connivences, les deux correspondants vivert assez différemment leurs difficultés d'être.
              Pour sa part, Clotilde affiche une résignation circonspecte et discrète circonspection : de sa pauvreté, des pressions familiales qu'elle subit, comme de ses tourments de santé, elle ne se plaint guère[18], essaie en tout cas de minimiser, et par quelque formule générale, elle renvoie ses problèmes au compte des malheurs dont chacun a son lot[19] ; d'un autre côté, Clotilde est une femme résolue : elle règle avec assurance ses relations avec Comte[20], met au point des stratégies familiales[21], ne cède pas plus aux critiques malveillantes de sa famille qu'aux bienveillants conseils de Comte[22] et elle sait mêler quelque humour à son pathos. Réservée, discrète, mais décidée, elle affronte les difficultés en évitant en fait les poses de victime, et, tout en arguant de sa faible tête et de son coeur meurtri, elle se veut et se fait maîtresse du destin qu'elle revendique comme sien.
              Auguste Comte répond à ses difficultés d'une toute autre façon : rien de discret dans son attitude ; il s'érige en grand imprécateur. Persuadé d'être l'un des rares analystes lucides de son temps, il y dénonce l'anarchie, les sursauts d'un monde en décomposition, et les obstacles dressés devant le nouveau monde positif qui peine à advenir ; il réclame les postes et les subsides qu'il juge dûs pour continuer son oeuvre[23] ; de ses échecs, il fait des commentaires scandalisés, où il se dit victime des aveuglements de l'époque et des "coteries" ; il proclame publiquement ses malheurs, vilpende ses "spoliateurs", lance ses imprécations[24]. Comte se juge martyr de la positivité méconnue, sacrifié par ceux qui font prévaloir les ambitions temporelles alors qu'ils ne devraient penser qu'au développement intellectuel et spirituel, par les cumulards, grands stratèges de tous les recrutements, qui règnent là où ils devraient servir. De ces difficultés personnellement éprouvées, Comte tire bientôt l'idée d'une politique scientifique de subside systématique[25]. Tous ces combats sont bruyants, et menés avec beaucoup de naïveté, une confiance désolée désolante. Comte apparait comme un homme fragile, dont les proclamations orgueilleuses sont autant d'appels. D'ailleurs, il transforme ses appels pour la subsistance présente en appels à la postérité contre les douleurs d'aujourd'hui. 


Difficultés d'aimer ... 

               Les maux se nourrissent les uns des autres. Difficultés de vivre et difficultés d'aimer s'entremêlent et s'entre-causent. Auguste Comte et Clotilde de Vaux vivent d'impossibles amours sous le signe d'une fatalité douloureuse dont ils souffrent physiquement et moralement à la fois, d'une fatalité contre laquelle ils bataillent, et qu'ils s'efforcent de surmonter, jusque par-delà la mort qui emporte la jeune femme et laisse le philosophe aux prises avec l'immortalité.
              De cette amoureuse histoire, les "amants de coeur" commentent les péripéties, qu'ils traduisent et subliment dans leurs oeuvres. L'un et l'autre renchérissent les heurs et malheurs de ce mal-aimer partagé, jusqu'à sa promotion en amour exemplaire.

Les fatalités de l'amour
              Tout commence par un roman : Comte a prêté Tom Jones à Clotilde. Billets échangés. Comte fait aussitôt à Clotilde une cour inquiète :
"Puisque je ne saurais hélas! devenir plus jeune, que n'êtes-vous, Madame, moins belle et moins aimable, afin de compenser un peu le fatal disparate de ma verdeur morale à ma maturité physique ! Mais l'un n'est guère, au fond, plus possible que l'autre... J'espère au moins, que la pureté, la profondeur, et la constance de mon dévouement concourront avec la similitude naturelle de nos situations pour atténuer graduellement cet obstacle radical" (17 mai 1845, p. 13).
Tout est là pour le drame : le temps qui fuit ; le "fatal disparate" mais la similitude des destins ; deux solitudes, une même attente... Et tout est exalté par le sentiment de leur "état  exceptionnel". D'emblée, Comte fait hommage à Clotilde d'avoir "ranimé (s)a vie morale", de l'avoir délivré du "triste état de compression affective".  Il ne cache pas "son trouble physique passager", ni ces "larmes délicieuses", ni ces "ravissantes insomnies" qu'il savoure "dans le silence des longues nuits". Clotilde se taît, mais Auguste insiste sur "la situation de son coeur", son état de faiblesse" auquel il trouve cependant un "certain charme mélancolique" et sur ses "rêveries solitaires"[26]. La réponse de Clotilde est un "douloureux billet"[27], un refus entouré de mystère, où planent malheurs, faiblesses, et la mort ... Comte en devient malade, et s'empresse de décrire son mal à Clotilde : une aggravation notable de sa "mélancolie oppressive" l'oblige à suspendre tous ses travaux et ses cours ; c'est une "maladie nerveuse", liée à "l'indispensable transformation prescrite à ses sentiments", et de ce "grave combat" il relate toutes les phases[28]. Rétabli, il s'excuse de la "grossiéreté de son sexe", réclame une "sage indulgence pour (s)es récentes folies" s'en excuse en plaidant l'inexpérience de l'amour et en pleurant sur l'échec que fût son "fatal mariage"[29]. Les voici décidés au "pur état d'une véritable amitié",  Comte essaie : il profite de la Sainte-Clotilde pour écrire une longue "lettre philosophique sur la commémoration sociale"[30]. Touchée par tant d'hommage, Clotilde passe aux aveux, aux "tristes confidences" sur son "coeur mutilé", "flétri", qui a "besoin de se retremper aux sources de la résignation et de la solitude" : elle aime ailleurs, d'un "amour sans espérance" qui l'a "dévorée sous toutes les formes"[31]. Ils sont donc dans le schéma des grandes tragédies classiques : Auguste aime d'un impossible amour Clotilde, qui elle-même aime un autre d'un impossible amour ... Et chacun sublime dans l'écriture, philosophique pour Comte qui insiste sur l'aptitude morale du positivisme et l'oriente vers une nouvelle religion, romanesque pour Clotilde qui rédige les lettres du feuilleton des malheurs de Lucie.
              Confidence pour confidence, et malheurs en écho  : Comte rappelle à Clotilde sa folie de jeunesse[32], complète ses aveux par celui de sa tentative de suicide. Il avoue craindre en cette nouvelle "épreuve", et sa "cruelle secousse", le retour de l'"horrible maladie". Mais, acceptant le "sacrifice extrême", il  se dit prêt à lutter contre le désespoir, avec l'aide de la poésie, de la musique et de la philosophie[33]. Tout ceci en 3 pages est  3 fois "triste", 2 fois "douloureux", 3 fois "cruel", 3 fois "fatal", et même "navrant", mais d'une "admirable franchise" et d'une "rare noblesse" ; on se console en espérant une "amicale sérénité" et en se "tendant bien sincèrement la main"[34]. Les relations évoluent cependant : "Lucie" y est pour beaucoup. Comte pleure de "douces larmes" sur cette "charmante nouvelle"[35], mais s'inquiète bientôt des parallèles entre "l'immense malheur domestique de Lucie" et "la fatale situation de Clotilde"[36]. Celle-ci se veut rassurante sur l'état de ses finances, mais fait un triste bilan de l'état de son coeur[37]. Refus, mais confidences.
              Comte les prend philosophiquement, et fait sa cour autrement. Le baptême du neveu de Clotilde, où elle est marraine et lui parrain, lui apparait comme une sorte de "noces spirituelles"[38]. Envers celui qu'elle appelle son "cher philosophe", Clotilde reste réservée. Les choses se compliquent car la famille n'apprécie guère l'assiduité de Comte : Clotilde opte pour la prudence, tout en déclarant sa "peine à (s)'organiser contre les sacrifices" ; Comte déplore le "fatal conflit d'affection" qui semble l'éloigner de Clotilde[39]. Il en retombe malade : agitation, insomnies, profonde mélancolie. Clotilde, "fort souffrante" elle aussi, n'y tient plus :
"Je ne veux pas que vous redeveniez malade ou malheureux à cause de moi. Je ferai ce que vous voudrez. La tendresse que vous me témoignez et les qualités élevées que je vous connais m'ont attachée sincèrement à vous, et amenée à réfléchir sur nos deux sorts. J'ai essayé de débattre intérieurement les questions sur lesquelles je vous ai fait souvent jeter un voile. Je me suis demandé comment dans une situation comme la mienne, on pouvait s'approcher le plus près du bonheur ; et j'ai fini par penser que c'était en se confiant à une affection solide. - Depuis mes malheurs, mon seul rêve a été la maternité : mais je me suis toujours promis de n'associer à ce rôle qu'un homme distingué et digne de le comprendre. Si vous croyez pouvoir accepter toutes les responsabilités qui s'attachent à la vie de famille dites-le moi et je déciderai de mon sort (...) Je vous confie mon reste de vie " (5 septembre, p.108). 
Au reçu de cette "divine lettre" Comte exulte : Clotilde est sa "véritable épouse, non seulement future, mais actuelle et éternelle", il est son "époux dévoué" prêt à tout, à la paternité, à la publicité ou à la discrétion de leur liaison, car il est clair pour lui que leur "fatalité respective" leur confère des "droits exceptionnels" au regard des lois sociales[40].    Mais Clotilde se dérobe, puis fait marche arrière : elle s'adresse au "digne ami" comme à un "tendre père", argue de son absence de ressources, et ne parle que de "protection" et d'"association" dans "l'affection et la pensée"[41]. L'"époux dévoué" veut bien des délais pour ménager la famille, mais réclame le "gage d'alliance", "le dernier sceau naturel " de leur union — et en attendant il retombe dans l'"extrême agitation" et l'insomnie. Clotilde s'excuse de son imprudence, réclame pour elle les délais, et refuse tout autre don que l'affection[42]. Et les voici malades tous les deux !  Les échanges sont assez rudes : Comte, obligé à n'être qu'"époux de coeur", juge bon d'expliquer cependant fort longuement pourquoi il veut, et continue d'espérer, le "gage irrévocable", en argumentant des sentiments, de la nature, de la médecine au besoin[43] ; dans une lettre plutôt exaspérée, Clotilde refuse d'être traitée en "petite fille"[44]. Comte retourne à la "noble tendresse chevaleresque" et à ses travaux[45]. Il essaie bien de se persuader que les résistances de Clotilde viennent de la situation, de sa "soumission exagérée à une ombrageuse tyrannie"[46], mais Clotilde le détrompe :
"Le mal est en moi. Mais il y est pour moi comme pour vous, et je le dis vaillamment, parce que la vérité ne blesse jamais un coeur élévé (...) Je me suis usée dans une lutte stérile : j'ai dépensé mon dévouement en pure perte ; et me voilà à l'état de débris sans avoir même vécu" (14 septembre, p.127-128)
              L'"orage", "la "crise avortée" laisse place à un amour, certes épuré, mais douloureux : ils souffrent moralement et physiquement. "Agitation mélancolique, mêlée de profond abattement" pour Auguste, qui  prend soin d'en informer Clotilde et de la tenir au courant de ses auto-médications[47] ; Clotilde parle elle aussi de plus en plus de ses maux et de ses luttes : maux de coeur, maux de corps, de poumons et de tête, "spleen" qui l'accable[48]. Ils s'inquiétent donc mutuellement et constamment de leurs santés, se prodiguent des conseils, et communient dans la douleur : 
"Je sens combien je vous aime de coeur en vous voyant souffrir (...) Soignez-vous par tous moyens. Quoique la vie me semble une chose plus redoutable que belle, je m'y cramponne de mon côté" (CV à AC, p.124). "La similitude de nos deux sorts va maintenant s'accroître par une immédiate communauté de malheur" (AC à CV, p.125). "L'auguste décoration du malheur devient inséparable de votre noble image et caractérise mieux l'ensemble de mes devoirs envers toi" (AC à CV, p.129). "Cheminons appuyés l'un sur l'autre, mon cher philosophe ; laissons le temps nous guider et nous faire. J'ai de singuliuers moments pendant lesquels je me compare à une chrysalide ; il me semble que je me transforme aussi dolemment qu'elle et que je sors d'une aussi triste robe" (CV à AC, p.143)[49]. "Le malheur est un défi qui finit par s'adresser à l'orgueil, qui finit lui-même par dominer le reste" (CV à AC, p.148). 
Mais Comte est promu "cher consolateur" et arrache des émois à Clotilde :
"Que ne vous ai-je connu plus tôt ! Que de douleurs de moins j'aurais subies, peut-être que de plaies de moins j'aurais à cicatriser ! Mais peut-être ai-je gagné à subir cette épreuve. Elle m'a fait dépenser un fardeau d'enthousiasme ; je crains seulement qu'elle ne l'ait tué en moi" (CV à AC, 30 septembre, p.139).

              Mais mi-octobre, Clotilde crache le sang. Son état empire vite[50] : Comte la recommande à un médecin[51], suit son traitement. Quant à lui, il est toujours en proie à la "mélancolique défaillance", aux insomnies qu'il déclare cependant "ravissantes", "précieuses" et "chères" car ce sont "tendres méditations nocturnes" consacrées à "savourer avec d'intimes délices le bonheur d'adorer"[52] ; il se reconnaît une "susceptibilité nerveuse", bien mise à l'épreuve dans leurs relations et les "intimes sacrifices" auxquels il consent ; et il a des problèmes d'estomac, des coliques et dérangements divers... En fait, il a des crises, des "agitations convulsives" et des "accès de spleen" dès que Clotilde lui refuse quelque chose ou qu'elle est plus malade[53].
              Les douleurs augmentent de tous côtés.
               
La surenchère héroïque
              Les grandes douleurs mènent aux plus grands sacrifices.
              Auguste se résout à l'imparfaite réciprocité de leurs relations, et s'ingénie à faire montre de générosité. Faute de pouvoir réaliser l'union totale à laquelle il aspire, il tente au moins l'union financière : il essaie de faire admettre à Clotilde ses prêts comme dons, lui propose même, en toute amicale pureté, de l'entretenir totalement — ce qu'il appelle "la plénitude de sa protection" :  
"De telles relations furent sans doute très rares (...) Ne sommes-nous pas tous deux assez dignement organisés pour réaliser de nouveau ces nobles exceptions ? Au fond, elles se réduisent à étendre jusqu'à l'amitié l'office universellement attribué déjà à la fraternité et à la paternité"  (11 novembre, p.188).
Refus "irrévocable", mais maladroit de Clotilde[54]. Comte redouble aussitôt de générosité : pour respecter la "pure amitié" et "surmonter les nobles scrupules", il propose le mariage blanc, "sainte liaison" qui procurerait une "pleine félicité domestique compatible avec une imparfaite réciprocité d'affection"  : 
"L'amour m'a toujours paru, sans doute, constituer, à cet égard une condition préalable encore plus indispensable à votre sexe qu'au mien. Mais votre nature est assez éminente pour mériter une honorable exception à cette règle générale" (13 novembre, p.192).
Il y a recrudescence de la maladie de Clotilde, et aussitôt des malaises d'Auguste. Clotilde va alors au sacrifice, se dit consentante à l'union :
"Maintenant j'ai fait ma part. Comme je vous aime sincèrement, si vous persistez à regarder comme malheureux pour vous le désir de repos moral dont j'ai besoin pour m'engager avec sagesse, je vous le sacrifierai. Je suis lasse de souffrir ou de faire souffrir : voila la pensée qui me mine maintenant" (23 novembre, p.205).
Nos héros continuent donc à réactiver le tragique classique, par la surenchère héroïque. Comte aussitôt refuse "l'offre inappréciable" avec une "équivalente abnégation" :
"Vous ne pouviez espérer, ma bien-aimée, de me vaincre en générosité (...) Votre admirable sacrifice suffit aujourd'hui pour me garantir à jamais votre inestimable tendresse : je vous renouvelle, du fond du coeur la ferme assurance d'attendre sans impatience que le besoin d'une complète union se fasse sentir à vous (...)  Vous qui avez tant souffert, vous, mon admirable Clotilde, à qui je dois faire oublier des douleurs si longues et si variées, vous voilà donc, pour surcroît de peine, préoccupée surout de la crainte de me faire souffrir !" (24 novembre, p.205-207).
Et dans cette "noble émulation de sacrifices", ils inaugurent un "nouveau régime de chastes relations". Qui reprend tous les ingrédients ambivalents du précédent : échanges sur leurs travaux ; bulletins de santé ; abattements, mélancolies, douces larmes, déclarations d'amour d'Auguste qui espère avec un entêtement confiant ; protestations d'amitié de Clotilde qui désespère résolument :
"Ma jeunesse se trouve atténuée par ma faiblesse physique et l'amertume de ma situation ; et mon rôle de nullité est vraiment le seul qui me convienne maintenant (...) Vous devez vivre comme si je n'étais pas au monde, et me regarder comme une sincère amie, dont le bonheur actuel serait d'embellir quelques-uns de vos moments" (4 décembre, p.213). "Il y a des instants où je me sens le désir de mourir sans liens, tant j'ai souffert par eux (...) Croyez-moi : ne vous faites pas de maux factices, de la nature de ceux que j'ai soufferts. Avec beaucoup plus de positivisme dans l'esprit, j'aurais conformé mon coeur à la situation exceptionnelle dans laquelle je me suis trouvée. En en faisant un aliment à ma mélancolie, je me suis détruite, j'ai éteint en moi l'enthousiasme" (5 décembre, p.221).
              Enfin, Auguste Comte finit par remercier, et même "bénir" Clotilde de la "chasteté volontaire" qu'elle lui a imposée[55], au moment où Clotilde dit regretter le gage qu'elle ne lui a jamais donné !
              Ainsi nos deux héros physiquement et moralement souffrants et douloureux, se déchirent, compatissent et s'épuisent à vivre en s'auto- et s'entre-félicitant de l'élévation de leurs sentiments.

La vie, la mort et la postérité
              Les pensées de mort rôdent bien sûr dans tous ces échanges douloureux : aux premières déclarations de Comte Clotilde répond qu'elle se demande chaque soir si elle aura la force de vivre le lendemain[56] ; les souffrances lui donne le "désir de mourir" mais aussi la crainte de mourir "consumée par une chimère"[57]. Auguste envisage aussi sa mort[58] ... et celle de Clotilde[59]. Chez Comte cependant les évocations de la mort sont le plus souvent liées aux appels à la postérité, aux invocations en l'immortalité[60]. Avec les progrès de leur amour, et ceux de la maladie, l'un et l'autre parle de plus en plus souvent de la mort, ce cette mort qui "seule rompra le lien fondé sur tous ces sentiments"[61].
              En attendant de mourir, leur amour est ce qui les fait vivre. Ce qui les fait "cheminer appuyés l'un sur l'autre". Ce qui leur fait supporter la vie dans les luttes contre les malaises et maladie : Clotilde est pour Auguste "l'image chérie" dont il se délecte dans ses insomnies, pour laquelle il accepte tous les sacrifices. Il lui voue tout son travail, qu'il juge complétement revivifié. D'emblée Comte s'était jugé "ranimé"[62], dans sa vie morale, son activité intellectuelle, la conception de sa mission sociale[63], il parle de "rénovation"[64], de "renaissance"[65], et de "résurrection"[66]. Clotilde est plus retenue ; mais enfin cette amitié est ce qui la fait "se cramponner à la vie" ; elle est reconnaissante envers son "cher philosophe" de son aide pour ses premiers pas littéraires. Conquise enfin, elle aussi invoque l'image de Comte aux heures de souffrance[67]
              La fatalité s'acharne et l'état de Clotilde s'aggrave : fin mars Clotilde se reconnait enfin tout à fait libre de coeur, mais son corps l'abandonne. Elle meurt quelques jours après avoir enfin accepté et avoué son amour, et exprimé le regret de n'en avoir pu donné le gage tant réclamé[68].

Amour systématique et humour amical
              Le sentiment de leurs situations et de leurs natures exceptionnelles, leur souci et leur conviction d'être au-dessus du "vulgaire", sont constamment exprimés par les deux amant-amie. D'emblée Auguste s'inscrit dans l'exception pour justifier sa déclaration et, après le refus, pour s'en excuser[69]. Leur situation est exceptionnelle et "les âmes de (leur) trempe" ne peuvent rien faire de vulgaire[70]. Auguste puise là aussi bien des arguments pour inviter Clotilde à l'union, sous toutes les formes possibles, que pour sublimer vaillamment les afflictions en satisfactions. De toutes façons, Clotilde est "incomparable" ;  et lui prend rang parmi les "hommes supérieurs" ; il est "du très petit nombre des organisations assez nobles pour supporter de tels délais" : ils peuvent donc tenter des styles de relations "très rares"[71]. Mieux : "Il vaut mieux ne comparer à rien un cas aussi exceptionnel, à tous égards, que le nôtre"[72]. Clotilde admet volontiers de poser le problème de leurs relations dans les mêmes termes, même si elle n'y voit pas les mêmes solutions. Et elle fait de plus en plus souvent l'éloge de la supériorité et des rares qualités de son philosophe[73].  
              Les deux héros cependant souffrent avec des différences de style, où l'on retrouve dans les conduites amoureuses des divergences  parallèlles à celles de leurs conduites générales.
              Auguste Comte est déclamatoire et compassé. Il s'explique, demande des explications, commente, et fait sur son vécu, sur ses expériences — et ceux qu'il suppose à Clotilde — de longues méditations. Elles sont en général anxieuses, dramatisées ; ou philosophiquement systématisées. On pourrait dire qu'il les traduit aussitôt en leçons : morales, sociales, médicales... 
              La douloureuse Clotilde est moins prolixe, plus secrète[74], et elle s'efforce à plus d'humour, voire à la gaîté. Dès le départ, lorsqu'elle "met à l'index les causeries embarrassantes" : ne parlons que de nos têtes, et tâchons d'y mettre le plus de gaieté possible"[75]. Elle impose ses décisions, se moque un peu de atermoiements de son amant contrit :
"Je vous remercie de vos remerciements pour une chose que je fais tout natiurellement et de bon coeur. Je regrette seulement que vous me parliez de défiance et de tout ce qui s'est passé. Je ne me suis jamais défiée d'aucun homme. Une femme inspire toujours à peu près les sentiments qu'elle veut" (20 juillet, p.70).   
Sur ses peines de coeur, encore trop présentes, elle reste dans la confidence discrète, les entoure d'éloges pour l'homme désespérement aimé[76]. Et elle assume :
"Je souffre par moi plus peut-être que par les circonstances" - "Vous savez que je n'ai fait de mal qu'à moi" (p.319).
Sur les douleurs physiques elle essaie d'être enjouée, d'enjoliver d'une formule les explications douloureuses sur les douleurs[77] et elle bouscule l'hypocondrie de Comte[78]. Quand sa santé se délabre, elle essaie malgré tout d'être rassurante et d'ironiser[79], et même aux pires moments : 
"Vous savez que je suis un pot fêlé que les plus minces crises émeuvent ; celle-ci quoique assez vive, peut avoir quelque bons effets" (...) J'hypothéquerais bien la gloire que vous me promettez quelquefois, pour acheter une nuit de sommeil" (en mars p.346, 347).
              C'est Auguste Comte qui laisse couler ses larmes[80], qui se livre aux "expansions", "épanchements", "effusions"[81] — il les provoque, s'en excuse, mais s'y délecte ;  c'est sous sa plume que l'on trouve le plus de "mélancolies", de "rêveries"[82] ; c'est lui qui invoque le plus souvent les "tristes fatalités"[83] ; c'est lui  qui se plaint des agitations nerveuses, convulsives, qui se reconnaît une anxiété maladive[84]. Comte décrit ses maux et ceux de Clotilde de façon à la fois contournée et crue ; il se complait à en faire le récit des siens et à en refaire l'historique, ne serait-ce que pour se glorifier de les surmonter[85]. Et c'est Comte qui rappelle le plus souvent à Clotilde ses "immenses douleurs" et ses "douleurs exceptionnelles" qu'il prend soin de renvoyer au "passé", pour s'attribuer le mérite présent de l'en consoler et compenser[86] ou/ et pour les conjurer[87].


Un mal sublimé 

Littérature et écriture
              Toute cette histoire de malheurs imbriqués est aussi celle d'efforts faits pour les surmonter. Auguste Comte et Clotilde de Vaux essaient de bien des façons. D'abord, et essentiellement, par l'écriture : de leur très fréquente correspondance pour tous les deux, bien sûr, mais aussi, pour la jeune femme de ses feuilletons romanesques et de poésie[88], pour le philosophe de ses Discours, Traités et Systèmes.
              Clotilde admet d'ailleurs qu'elle cherche dans sa production littéraire un dépassement de ses malheurs : ses écrits, ses romans doivent lui donner, en différents sens, les moyens de vivre. Elle admet le lien entre sa vie, ses souffrances et ses oeuvres : elle reconnaît l'autobiographie de certains épisodes relatés, elle dit son désir d'exploiter ses souffrances pour en en faire "des sources d'enseignement pour les autres", et parle de Willemine comme de son "oeuvre de douleur", "l'enfant de ses tristesses solitaires"[89]. Elle use cependant de la littérature et de sa littérature avec une certaine réserve : elle ne se confond pas avec ses héroïnes, et tient à le faire savoir[90].  
              Auguste Comte lui entremêle le plus étroitement la vie et l'oeuvre — les siennes et celles des autres. C'est lui qui d'ailleurs fait les premières identifications-sublimations littéraires : dès sa première déclaration il mélange le destin de son amour et celui de son oeuvre, cite Vauvenargues à l'appui[91] ; commentant la première crise, il en voit le plein "art dramatique"[92] ; après la confidence, disons au deuxième acte, il invoque la musique, les chants italiens de l'opéra[93], et c'est lui qui fait l'assimilation Clotilde/Lucie[94]. C'est Comte encore qui fait l'identification romanesque et théâtrale d'Amédée de Vaux en "homme fatal", relayé aussitôt par Clotilde qui évoque Gil Blas[95]. Comte use volontiers pour sublimer sa propre histoire des modèles des couples philosophiques[96] ; et cherche dans l'histoire et à la littérature les figures auxquelles il confronte l'incomparable Clotilde[97].
              Mais c'est dans sa propre production que Comte traduit son amour pour Clotilde. Il ne cesse de lui en attribuer l'inspiration, la lui dédicace dès la première déclaration, lui en renouvelle constamment l'hommage, qu'il veut très vite rendre public[98]. Le thème devient constant. Chez Comte, les progrès de sa vie, de son oeuvre et de son amour vont de pair. Tout est aussitôt traduit, systématiquement, et systématisé. Tout lui est occasion : les bonheurs d'aimer, les malheurs de l'amour refusé, les événements extérieurs, les progrès intérieurs ...
              Ainsi, lorsque sa déclaration est repoussée, il emploie les voies détournées des "lettres philosophiques". Pour la Sainte-Clotilde, il compose une longue méditation "sur la commémoration sociale" : tout en rappelant les qualités modèles de sainte Clotilde, il expose "comment la philosophie positive justifie pleinement le culte catholique des saints en le rapportant  à sa vraie destination sociale", et, en fait, l'essentiel de ses conceptions sur les religions et sur la "révision éclairée" qu'en doit faire le positivisme"[99]. Le baptême du neveu de Clotilde est l'occasion d'une méditation sur les sacrements et leur revivification par la philosophie nouvelle, et donc de développements sur les formes du culte social[100]. Une troisième longue lettre phiilosophique sur le mariage est composée par Comte, et cette fois à la demande de Clotilde qui veut tirer parti de ces idées pour sa Willelmine[101]. Comte se réjouit de cette "sainte coopération" philosophico-littéraire, où il voit le modèle de la complémentarité des qualités intellectuelles et affectives, masculines et féminines.
              D'ailleurs très tôt et constamment Comte se lie à Clotilde pour le sens de son travail, et il l'invite aux coopération, avec cependant partage des tâches et des domaines :
"En poursuivvant votre noble projet, vous utiliserez heureusement les privilèges inhérents à vos propres travaux, qui comportent au plus haut degré, l'application totale et directe de votre douloureuse initiation personnelle. Tous deux, nous traitons, quoique sous des faces très différentes, le même sujet fondamental, la nature et l'existence humaine : mais vous  vous y bornez à la vie privée, réduite même à son centre moral, indépendamment de toute influence spéculative ou active ; moi je dois surtout embrasser l'ensemble de la vie collective de l'Humanité. Vous pouvez donc vous contenter d'une contemplation intérieure, et vous n'avez, comme vous le dites si bien, qu'à mettre en relief votre propre vie. Quant à moi, c'est surtout au-dehors que je dois regarder, dans toute la suite des temps et des lieux" (16 septembre, p.129-130).
Pour désigner ces influences de l'affectif sur le théorique, où se laisse voir tout un travail de transfert, Comte parle de son entrée dans une "deuxième carrière" qu'il met sous le patronage de Clotilde[102]. Comte ne cesse donc de proclamer ses dettes envers Clotilde, pour  "l'harmonie de plus en plus sensible qui se développe entre (s)es affections et (s)es travaux",  pour ses progrès moraux dont les bénéfices sont personnels et collectifs :
"Depuis que je suis inspiré par cet amour (...) je me sens devenu meilleur et plus juste envers tous. Il a augmenté mon attachement pour mes vrais amis, et même mon indulgence pour mes princiapaux ennemis ; il me rend plus doux avec mes inférieurs, et mieux subordonné à mes supérieurs : en un mot, il me fait aimer davantage tous mes devoirs quelconques" (8 octobre, p.146).
Au bilan, tout le monde en profite : lui, Clotilde[103], et l'humanité, qui doit être aussi redevable à Clotilde de l'élaboration d'une nouvelle morale et d'une nouvelle religion.

Nouvelles sources de la morale et de la religion
               Car enfin tout converge vers la promotion de modalités transformées du moral, du social et du religieux. Comte puise dans l'histoire des modèles de ses rénovations : la chevalerie médiévale lui permet de sublimer sa "noble Dame" et de lutter pour elle[104].  Comte prétend cependant par la "morale positive" surpasser la "morale théologique"[105]. Car le positivisme apprend à se conduire "sans aucune stimulation personnelle de terreur ni d'espérance"[106]. Le passage au religieux se fait vite. Ce qui est induit ou/et traduit par le vocabulaire employé par Comte vis-à-vis de Clotilde : elle est "adorable", ce qui est banal, mais objet d'"adoration", ce qui l'est moins. Cette "adoration" se traduit par un véritable "culte" : des "prières", "consacrées" à la relecture des lettres, faites par Comte devant son "autel", le fauteuil où Clotilde s'assoit pendant ses visites, devant lequel Comte se prosterne et pleure à genoux... La relation "épurée" devient aussitôt "sainte"[107]. Clotilde est "angélique", "céleste" ... Comte met explicitement au point un rituel complexe empruntant au catholicisme et à un "fétichisme" renouvelé[108]
              Il ne saurait être question ici de commenter en précision cette sublimation religieuse, commencée du vivant de Clotilde et que le travail de deuil amplifie et systématise[109]. L'idiosyncrasie de Comte a beaucoup compté dans les modulations originales de ses réactions aux difficultés d'être et au mal du siècle.

*
              La correspondance passionnée d'Auguste Comte et de Clotilde de Vaux pendant leur "année sans pareille" est en tout cas passionnante. Elle montre comment les correspondances interagissent, comment elles interagissent aussi sur les oeuvres non épistolaires, et même sur celles qui sembleraient devoir être déconnectées de la biographie.  Auguste Comte et de Clotilde de Vaux semblent en tout cas des représentants de ces natures sensibles, qui résonnent au mal d'être de leur siècle et qui essaie de le raisonner. L'un et l'autre multiplient les efforts pour lui échapper. Clotilde en est délivrée par la mort. En proclamant la valeur éternelle de la commémoration, en érigeant son histoire privée en modèle idéologique, Auguste Comte trouve un compromis entre la délectation dans la souffrance et la consolation par une sublimation sociologique.




[1]- La Correspondance générale de Comte occupe huit forts volumes, publiés de 1973 à 1990, Paris, Vrin, Coll. "Archives Positivistes" (cité ici Corr.).
[2]- La première rencontre a lieu fin 1844, chez le frère de Clotilde — Maximilien Marie — qui était un élève de Comte. Charles de Rouvre, descendant de la famille de Clotilde, a consacré un ouvrage à L'Amoureuse histoire d'Auguste Comte et de Clotilde de Vaux, Paris, 1920 ; voir aussi sa Méditation sur Clotilde de Vaux à l'occasion du centenaire de sa mort, Paris 1947.
[3]- Comte a terminé en 1842 la publication du Cours de philosophie positive, il a publié en 1844 le Discours sur l'esprit positif et le Traité philosophique d'astronomie populaire corrrespondant à la rédaction des cours publics gratuits professés depuis 1830. Depuis fin 1841, Comte a reçu le soutien très efficace de John Stuart Mill qui l'a fait beaucoup connaître en Grande-Bretagne ; et en 1844, Emile Littré se déclarant disciple de Comte a fait de retentissants éloges de la philosophie positive dans le journal Le National.
[4]- N'ayant pas réussi à avoir de chaire de professeur titulaire, Comte avait dénoncé publiquement les "iniques spoliations" dont il se jugeait victime. Les professeurs de Polytechnique et les Académiciens, "pédantocrates" accusés de basses intrigues n'apprécièrent guère et les inimitiés furent tenaces.
[5]- Caroline était sans aucun doute très intelligente et fort confiante dans les capacités philosophiques et scientifiques de son mari, mais la mission philosophique à laquelle il se consacrait imposait au jeune ménage des conditions très austères. Caroline a plusieurs fois quitté le domicile conjugal ; le philosophe souffrait de ces moeurs trop émancipés. Sur ce mariage et son échec, voir Mary Pickering, Auguste Comte, An Intellectual Biography, Volume I, Cambrigde University Press, 1993.   
[6]- La correspondance de "l'année sans pareille" comprend 146 lettres, dont 32 seulement ne sont pas adressées à Clotilde —et parmi celles-ci, plus d'une dizaine sont directement rattachées à elle car adresssées à la famille, à sa mère et à son frère. Les quelques lettres qui ne sont par à ou pour Clotilde sont des billets de circonstance, des lettres officielles, et quelques unes à des confrères ou disciples - à John Stuart Mill, surtout. Nous citons essentiellement ici les lettres de 1845 et de 1846 publiées dans Corr., III ; nous ne le redisons pas à chaque référence ; pour la correspondance entre Auguste Comte et Clotilde de Vaux, nous précisons par les initiales, AC et CV, l'auteur des lettres citées.
[7]- Il est aussi répétiteur dans une institution privée, qui prépare l'examen d'entrée à Polytechnique. Sur cette carrière à rebours, voir notre article "L'Impérialisme des géomètres à l'Ecole Polytechnique," dans La Formation polytechnicienne, deux sciècles d'histoire, Paris, Dunod, 1994, p.59-75.
[8]- Voir la comptabilité exposée par Clotilde le 7 octobre, p.144-145. Ces questions mènent à ce que Clotilde appelle de vétritables "guerres civiles" : cf. 30 novembre, p.210 ; 2 janvier, p. 265.
[9]- CV à AC, par exemple : "Mon besoin et mon amour de l'indépendance rendent bien peu méritoires les petits sacrifices que notre position de fortune m'impose. J'en viendrai, je l'espère, à me créer des ressources personnelles" - 3 juillet, p.55 ; "Il me devient chaque jour plus pressant de m'affranchir par moi-même (...) Moi, qui n'ai pas encore eu l'ambition de l'argent, quel prix j'attacherais au premier que je gagnerai !" - 11 décembre, p.231.
[10]- Voir par exemple, AC à CV : p.182, 185, 269 ...
[11]- Comte lui fait plusieurs prêts qu'il veut considérer comme dons : une première demande, "pour un traitement coûteux" est faite le 11 août, (p.91), voir aussi en septembre (cf. p.135), début octobre (cf. p.140, 142), début novembre (p.184-185), début février (p. 313) ... Comte voit cela comme une "intervention tutélaire", un "cordial protectorat" (cf. p.189, 192). — Ces questions financières n'ont pas arrangé les relations de Comte avec la famille de Clotilde, qui voyait dans ce comportement d'aide une ingérence outrageuse. De fait, après la mort de Clotilde, la famille s'entoure de précautions officielles pour rembourser une partie des prêts : voir les démarches retracées p.366-377. Comte s'offense : "La mère et le frère de ma noble amie ont persisté jusqu'au bout à vouloir la traiter en petite fille" et il dénonce "cette ignoble tyrannie de l'argent exercé au bord de sa tombe" (p.368)
[12]- AC à CV, 2 mai, p.4.
[13]- AC à CV, 17 mai, p.13.
[14]- Cette histoire, dont l'inspiration tient évidemment de l'autobiographie est présentée en treize lettres : une malheureuse jeune femme abandonnée et ruinée par son mari, joueur et assassin, est recueillie par des amis ;  leur voisin, un beau jeune homme plein de qualités, s'éprend bien sûr de la "jeune et belle martyre des injustices sociales", et se scandalise. Lucie promène sa beauté attristée "mélancolique et accablée", et son "coeur malade" finit par ronger toute sa santé. Ne consentant pas à une liaison hors la loi, elle convainct son ami d'adresser à la Chambre une pétition contre l'oppression des femmes et pour l'autorisation du divorce quand l'homme est soumis à une peine infamante reconnue ; la pétition est envoyée, mais tous s'en gaussent. Tout espoir ruiné, Lucie meurt "brisée par les douleurs", et son bien-aimé se brûle la cervelle. Le texte est cité ici dans l'édition donnée en Annexe de Corr., III, p. 427-438. Comte a reproduit Lucie dans le "Complément de la Dédicace" du Système de politique positive, ouvrage tout entier dédicacé à Clotilde de Vaux.
[15] (ex 19 avec quelques coupures) : "Sachez toujours éviter de laisser dégénérer en un simple métier ce qui ne devrait émaner que d'une inspiration spontanée (...) Par-dessus tout, ma chère amie, je vous recommande les vrais principes sociaux : laissez à la tourbe écrivante la trop facile démolition passagère d'une frêle morale publique au seul profit de quelques affections privées (...) Si, comme je le présume, je vous dévoile un jour toute ma vie, vous saurez à quel point j'ai été généreux et comment on l'a reconnu : vous sentirez alors que nul n'avait autant que moi le droit de désirer personnellement le divorce ; vous savez pourtant que nul n'a, de nos jours, plus énergiquement réprouvé cette désastreuse aberration. L'humanité est en grand travail de régénération totale : ayez la noble ambition de l'y seconder dignement, au lieu de l'y troubler aveuglément. Il y aurait maintenant plus d'honneur, et d'ailleurs plus de gloire littéraire, à fortifier les vraies notions fondamentales de l'ordre domestique qu'à se joindre, même avec talent, à la foule déjà si vulgaire des émeutières, insensées ou coupables, contre les bases élémentaires de la sociabilité humaine. N'écrivez jamais sans doute, que suivant vos convictions ; mais défiez-vous de la séduction trop naturelle qui dispose aujourd'hui à prendre de simples penchants personnels pour de véritables convictions sociales, qui doivent être si rares, surtout chez votre sexe, en nos temps d'anarchie mentale et morale. Votre bonheur n'est pas moins intéressé que votre honneur à éviter cette fatale illusion" (à Clotilde de Vaux, le 6 juin 1845, p. 39).
[16]- (ex texte) Clotilde se propose "d'imaginer l'histoire d'une femme qui aurait cédé à toutes les insinuations contre le mariage et l'ordre, de la faire se briser sur toutes les grèves des passions, tout en la consetrvant pure ; et de l'amener peu à peu vers le calme et la vie pleine de la famille" (CV à AC, 11 août, p. 91) ;  l'héroïne Willelmine devait être présentée comme "exemple du seul malheur de l'excentricité", puis, en rentrant dans le rang, elle devait illustrer le véritable "féminisme" (cf. CV à AC, 18 octobre, p.155, et 28 octobre, p.166.
[17]- Voir AC à CV, 11 août, p.92, 25 septembre, p.134.
[18]- Il y a cependant des périodes de crise où elle avoue à Comte ses détresses : voir par exemple p.101, 103, 135, 140, 142, 148, 154,172, 183, 184-185, 210, 265... 
[19]- Par exemple, CV à AC : "Il y a de gros ulcères au fond de chaque sac humain : le tout est de savoir les cacher" 29 mai, p.24 ; "chacun a ses défauts et ses pauvretés", 7 octobre, p.145.
[20]- Cf. par exemple : "vous ne me reconduirez pas : j'ai pris depuis si longtemps mes allures de femme abandonnée que j'y tiens" (30 octobre, p.169). Voir encore la règle orgueilleuse du 7 octobre : "Il n'y a pas de situation, si difficile qu'elle soit, qui pourrait me fixer où je me sentirais mal ; et le calcul me coûterait davantage que la souffrance" (p.145) — Comte reconnait à Clotilde en plusieurs occasions une "douce tenacité" et la "respectueuse fermeté de (sa) tendre nature" (p.140, 159 ...).
[21]- Voir par exemple 16 octobre 1845, p.154 ; et les conditions d'une cohabitation éventuelle envisagée en novembre 1845, p.183.
[22]- Ainsi lorsqu'un feuilleton lui est proposé au National , Clotilde ne répond que par courts billets aux longues missives-directives de Comte : CV à AC, 20 juillet, p. 69 ; AC à CV, 22 juillet, p.70-72 ; .Petit billet de Clotilde le 30 juillet (p.76) ; autre longue épitre de Comte le 5 août (p.78 à 86) à laquelle Clotilde ne répond qu'un court billet d'information (p.86). PourWillelmine Clotilde montre aussi son souci d'indépendance : elle se défend d'être le simple écho féminin du philosophe (cf AC à CV 29 octobre, p.168 et CV à AC 30 octobre, p. 168) ; autre différend sur ses ambitions littéraires, mi- et fin décembre : p. 236-237, puis 252-261
[23]- John Stuart Mill a obtenu en 1844 de trois riches anglais une aide financière provisoire pour le philosophe en détresse ; quand les mécènes ne renouvellent point leur dons, Mill suggère quelques expédients, auxquels Comte ne consent pas ; Comte s'offusque de ce qu'il considère comme un abandon ; Comte ne veut point — ne peut point dit-il — être plus économe, car, au nom du devoir pour l'homme d'entretenir la femme, jugé aussi impérieux que celui des riches d'entretenir les philosophes, il tient à continuer à servir une pension à Caroline ; Mill trouve Comte bien exigeant, le "refroidissement" de leurs relations est en grande partie lié à ces différends : voir Corr., III, Comte à Mill, 15 mai, p. 7 et 27 juin, p. 44-46, réponses aux lettres de Mill du 26 avril, p.386, et du 21 et 24 juin, p. 393- 395 ; voir aussi Comte à Mill,  24 sept. 1845, p.131-132, 18 décembre 1845, p. 238-248 ; Mill à Comte, 3 octobre 1845, p.408-409, et 12 janvier 1846, p.413-416.; Comte à Mill, le 20 janvier 1846, p.292-300.
[24]- Lorsqu'on le refuse pour les chaires à l'Ecole polytechnique, Comte multiplie les lettres de protestation et les appels au pubkic écrits écrites (cf. notre article "L'Impérialisme des géomètres à l'Ecole Polytechnique" cité supra ) ; voir aussi la publication dans la presse de ses lettres de candidature et de ses protestations lorsqu'on lui refuse la  création d'une chaire d'Histoire des sciences au Collège de France (cf notre article "La Création de la chaire d'Histoire des sciences au Collège de France : un héritage du positivisme", Revue française d'histoire des sciences, 1995, XLVIII, n°4, p.521-556).
[25]- En 1848, lorsque Comte perd aussi son poste de répétiteur à Polytechnique, Littré instaure le subside positiviste dont Comte vivra en fait jusqu'à sa mort. On retrouvera aussi l'institutionnalisation du devoir d'assistance des détenteurs du pouvoir temporel envers les penseurs dans les développements du Système de politique positive.
[26]- 20 mai et 21 mai, p.16, 17
[27]- Comte le qualifie ainsi, p.18. Clotilde l'a adressé le 21 mai : "J'ai trop souffert pour ne pas être au moins sincère ; et si je n'ai pas répondu à votre lettre de samedi, c'est parce qu'elle m'a causé des sentiments pénibles queje n'aurais su vous caher. En acceptant votre amitié et votre intérêt, je croyais, je l'avoue contribuer à votre bonheur et au mien ; il m'a été douloureux d'avoir à craindre le contraire. Si je ne m'étais pas faite depuis longtemps une habitude de cacher mon coeur, je vous aurais inspiré encore plus de pitié que de tendressse. Il y a un an que je me demande chaque soir si j'aurai la force de vivre le lendemain... (...) La bonté de votre coeur vous a porté, je le sens, à exalter en vous l'intérêt qu'inspire mon malheur (...) Epargnez-moi les émotions, Monsieur, comme je désire vous les éviter".  
[28]- AC à CV : 24 mai, p.19
[29]- AC à CV : 28 mai, p.21-22
[30]- AC à CV : lettres du 2 juin 1845, p. 25-33.
[31]- CV à AC : 5 juin, p.33-34 : "Je n'aurais pas cru qu'il fût possible de rien ajouter à ce que j'ai souffert depuis longtemps ; mais je viens de voir qu'on peut ressentir le contrecoup des douleurs des autres en même temps qu'on subit les siennes. Mon coeur est comme mutilé ; et quand je vous ai dit que je me demandais chaque soir si j'aurais le courage de passer le lendemain en ce monde, c'est vrai à la lettre. Au nom de l'intérêt que je vous porte, je vous en prie, travaillez à surmonter un penchant qui vous rendra malheureux. Un amour sans espérance tue le corps et l'âme ; il vous fauche comme un brin d'herbe. Il y a deux ans que j'aime un homme de qui je suis séparée par un double obstacle. En vain j'ai essayé de métamorphoser ce sentiment funeste en maternité, en tendresse de soeur, en dévouement, il m'a dévorée sous toutes ses formes. Il n'y a que quand j'ai eu le courage de m'éloigner que j'ai pu commencer à vivre. Aujourd'hui (...) j'emploie mon peu de forces a un travail qui peut m'être de quelque utilité pour la suite ; je ne veux penser qu'à cela maintenant. Conservez-moi votre amitié et croyez que j'apprécie votre coeur tout ce qu'il vaut. Le mien est comme flétri ; il faut qu'il se retrempe aux sources de la résignation et de la solitude (...) Explorez toutes vos ressources d'homme pour cette lutte, monsieur Comte : une femme n'a que son coeur pour combattre, et elle n'en est pas moins tenue au succès".
[32]- Comte a assumé publiquement cette période de délires — qu'il désigne comme celle d'un "orage cérébral" — dans la Préface du dernier tome du Cours de philosophie positive. Comte avait été alors (1826) soigné par Esquirol, et le dévouement de sa femme lui avait permis de recouvrer tout à fait la santé. Il avait repris son Cours en 1829. 
[33]- "Pour vous et pour moi, je dois éteindre de toutes mes forces, dès son énergique début, le seul véritable amour que j'aie jamais ressenti (...) Croyez donc, Madame, que je parviendrai vraiment à ma vaincre, ou plutôt à me transformer radicalement (...) En vous indiquant l'innocent artifice par lequel mes précieux chants italiens procurent à mes diverses émotions solitaires une salutaire expansion, je ne comptais guère être si tôt réduit au plus douloureux d'entre eux, et surtout à cet air si navrant des Puritains, O cangia il mio fato, o cangia il mio cor ! Ah! personne, pas même peut-être son mélancolique auteur, n'aura jamis chanté comme moi ce qui convient si bien à ma triste situation définitive... (...) Ma chère philosophie (...) saura me préserver de toute folle lutte contre des obstacles évidemment insurmontables (...) Je vais de nouveau chercher dans ma vie publique la noble quoique imparfaite compensation des malheurs immérités de ma vie privée" (6 juin 1845, p.35-37).
[34]- CV à AC, p.34, AC à CV, p.38.
[35]- AC à CV, 23 juin, p. 40. 
[36]- AC à CV, le 3 juillet, p.54.
[37]- CV à AC : "Quant à l'état de mon coeur, permetez-moi de n'y pas penser moi-même. Je serai votre amie toujours, si vous le voulez ; mais je ne serai jamais plus. Considérez-moi comme une femme engagée, et soyez bien convaincu qu'à coté de mes douleurs il y a place pour de grandes affections. Je désire que vous ne vous occasionnez ni trouble ni souffrance à mon sujet. Personne plus que moi ne compatit aux tempêtes du coeut : mais elles m'ont brisée, et je suis impuissante devant elles" (3 juillet, p.55)
[38]- AC à CV , 2 septembre, p.102, 5 septembre, p.106.
[39]- lettres du 2 septembre, p. 103. 
[40]- AC à CV, 6 septembre, p.109.
[41]- CV à AC, 6 septembre, p. 111-112.
[42]- CV à AC : "Hélas! (...) le passé me fait encore mal et j'ai eu tort de le braver" ; "Je suis incapable de me donner sans amour (...) J'attendrai donc, comme telle était mon intention, que mon coeur soit tout à fait calme et libre" (8 septembre, matin puis soir, p.114, 115).
[43]- AC à CV, 9 septembre 1845, p 115-119 : L'argumentation est multiple : il faut par un acte irrévocable dissiper les "funestes hésitations" ; Clotilde n'oppose à Comte qu'un "vestige du passé", rien de sérieux ! ; la "douce concession" rendra le repos au coeur et la santé au corps ; fi des "mystiques prétentions : "Les êtres supérieurs ne doivent pas différer du vulgaire par les besoins fondamentaux, mais seulement par la façon d'y satisfaire" ; et pour terminer ces belles leçons Comte propose à Clotilde des visites périodiques pour lui enseigner l'histoire et "la saine conception de l'ensemble du passé".
[44]- CV à AC, 9 septembre 1845, p.119-120 : "J'ai eu tort, le l'avoue et j'en souffre ; mais j'en souffre trop pour que vous me le rappelliez (...) Là où je n'ai point de passion, j'ai au moins de la raison ; et ce que je vous dit ici est réfléchi. Je ne vous rappellerai pas que je ne voyais en vous que le père d'un enfant, et non un amant (...) Rien ne me fera revenir sur mon nouveau plan. Je vous le demande donc de nouveau avec énergie et affection, plus un mot (...) ceci est une réponse : vous n'en devez donc pas faire (...) Si vous avez de l'affection pour moi, vous vous conduirez comme je le désire".   
[45]- AC à CV, 10 septembre, p.121.
[46]- AC à CV : p.124.
[47]- AC à CV : 14 septembre, p.125-126 ; 2 octobre, p.141.
[48]- CV à AC : 25 septembre, p.134 ; 9 octobre, p.148.
[49]- Les deux images sont reprises par Auguste Comte : p. 157, 174. .
[50]- Elle subit des saignées, elle n'a "pas l'ombre de jambes", alors qu'elle est "poursuivie par les pulsations" ; s'y ajoutent bientôt la "congestion des bronches", des "irritations" et "inflammations  d'entrailles", les "palpitations", etc. 
[51]- Fin novembre : voir p.200.
[52]- AC à CV : 29 octobre, p.167 ; voir aussi p. 161, 172 ...
[53]- Autres exemples de ce "spleen" réactif :  en janvier (p.306-308) ; en mars  (p.343, 348). Car c'est lui qui se plaint du "douloureux effort", de "l'amère privation" de la moins voir  (p.351, 358) et des "intimes angoisses" auxquelles il s'efforce d'échapper par les "épanchements" et la "triste lecture" de traités médicaux (p.359). Voir aussi p.362 où il dit avoir trouvé les pires souffrances là même où il espérait une "heureuse diversion" (à l'opéra, où l'a repris son "agitation convulsive").
[54]- "Je ne puis pas accepter vos offres à moins de devenir votre femme", p.190. 
[55]- Par exemple, p.327, 335, 338 ...
[56]- CV à AC, p.18, 34, 128.
[57]- CV à AC, 5 décembre, p.221.
[58]- AC à CV : "J'ai vivement senti combien j'éprouverai une indicible satisfaction à te sacrifier au besoin jusqu'à ma vie" (p.138) ; "Quelle que doive être l'issue finale de cette noble passion, je ne regretterai pas de mourir avec elle" (p.223).
[59]- AC à CV : "Si j'avais le malheur de vous perdre, je devrais m'efforcer de vous survivre, afin de faire apprécier au monde l'éminente nature qu'il aurait trop peu comprise" (p.227).
[60]- Deux exemples : l'un au début de la relation, juste après les premiers refus et confidence de Clotilde : "Puisse l'humanité profiter de cet inévitable sacrifice extrême ! Je dois désormais redoubler d'amour pour elle Le passé m''apprend certes qu'elle ne fut jamais ingrate : mais hélas ! elle ne me rendra sa sainte affection éternelle que longtemps après que j'aurai cessé de pouvoir goûter cette ineffable consolation" (6 juin, p.36-37)  ; l'autre alors que Clotilde se meurt : "Plusieurs femmes sont devenues immortelles en exerçant un pareil empire sur des hommes nés pour la postérité. Vous, ma Clotilde, dont le nom peut acquérir des droits plus personnels à son éternel souvenir, vous augmenterez aussi, j'espère, mes propres titres à son incomparable reconnaissance" (22 février, p.327).
[61]- CV à AC, p.228. Comte renchérit : "si l'extrême de la mélancolie ne va pas pour vous au-delà de mourir sans aucun lien, que penser du sort de l'être qui se sent lié à un être nullement engagé ! (...) la mort seule rompra nos tendres liens" (p.230) - voir aussi p.232.
[62]- AC à CV : "Combien ne vous dois-je pas déjà de reconnaissance pour avoir ranimé ma vie morale par l'impulsion la plus imprévue, au temps même où j'avais dû tristement renoncer à tout pareil bonheur ! " 17 mai, p.13.  
[63]- Voir par exemple AC à CV : "Jusqu'ici c'était surtout de ma vie publique qu'avaient dû émaner les consolations propres à me faire supporter l'amertume habituelle de ma vie privée. Voici maintenant arrivée enfin, grâce à vous, l'heureuse réaction par laquelle au contraire, mes affections personnelles vont directement perfectionner mon activité sociale" 5 août, p.78 ; 
[64]- AC à CV, 19 octobre, p.157 - variante de l'image de la chrysalide proposée d'abord par Clotilde.
[65]- AC à CV, 26 décembre, p.252.
[66]- AC à CV: 17 mai, p.14 ; 29 octobre, p.167 ; 22 février, p.326.
[67]- CV à AC,  23 février, p.329 : "Dans mes heures de souffrance, votre image plane toujours devant moi. Je me dis qu'une affection aussi bien prouvée que me l'est la vôtre doit tout adoucir"..
[68]- Ces derniers entretiens et aveux sont rapportés par Comte - voir la "Confession" du 2 juin 1847- Corr., IV, p.119.
[69]- AC à CV : 17 mai p.13 ; il invoque aussi bien son "étrange inexpérience"  que ses non moins exceptionnelles verdeur et impétuosité de la jeunesse conservés dans la maturité (p.17, 21, 22).
[70]- AC à CV : par exemple p.24, 41, 109, 113, 223, etc. Voir aussi : "Nés tous deux, j'ose l'assurer pour acquérir une renommée durable, nous avons néanmoins le rare avantage de bien sentir tous deux que le vrai bonheur dépend surtout de la vie intérieure" (p.311)
[71]- AC à CV : p.186, 188, 189.
[72]- AC à CV, 9 décembre, p.226.
[73]- CV à AC : "Je sens combien il doit en coûter pour descendre de la pensée au machinisme. C'est là la croix des intelligences supérieures" (p.152) ; "Je crains que vous ne trouviez rarement vos pareils autour de vous" (p.187) ; "Vous qui êtes une grande exception... (p.265) ...
[74]- CV à AC : "Que ne se contente-t-on en ce monde des ennuis positifs (...) On ne devrait parler en ce monde que quand on ne peut pas faire autrement ; la langue nous joue bien des tours" (p.157) ; voir aussi son souci d'éviter "les parlementages" sur sa santé, sur son travail et ses projets quelconques (p.337).  
[75]- CV à AC, 29 mai, p. 23-24.
[76]- Cf. 14 septembre, p.127.
[77]- CV à AC : "Je vous quitte pour Eole ou Zéphyre : je ne vois pas très bien lequel, mais l'un et l'autre me font des poumons, et je veux leur en tenir compte jusqu'aux frimas" (p.135) ; "Puissé-je ne pas vous attrister par ma douloureuse sincérité ! Elle part certes bien de l'endroit malade" (p.191) ; "Je voudrais souffrir dans une coquille de noix pendant certains jours" (p.329).
[78]-  CV à AC : "Cher ami, ne caressez donc pas comme vous le faites vos insomnies (...) Si je ne dormais pas, je prendrais de l'opium, en dépit des inconvénients. C'est un peu long de vivre vingt-quatre heures par jour" (p.169) ; "Je suis heureuse d'apprendre que vous voulez dormir : et, s'il vous fallait ne m'aimer qu'un quart d'heure par jour pour votre repos, je voudrais que la chose eût lieu demain" (p.173) ; "Soignez bien votre estomac, ce grand fonctionnaire influent dans notre pauvre chose. J'ai beaucoup d'obligations au mien, et je sens d'autant mieux le respect que chacun doit avoir pour le sien"  (p.177).
[79]- 17 février, p.325 : "je suis épuisée ce matin d'avoir passé des heures entières de la nuit à tousser : mon coeur est comme un château de cartes, il me semble qu'il va s'écrouler (...) Je vois qu'il faut en passer par l'huile de foie de morue en ce monde" ; 24 février, p.332 : "J'ai bien une centaine de pulsations encore et je ne sais trop ce que j'en ferai" et de se moquer des rapports médecins-malades : "ils lui ferment la bouche par une sentence et l'estomac par une pillule" ; 27 février, p.336 : "Je ne compromettrai plus ce pauvre estomac qui peut me rendre tant de services" - Un exemple de la différence de style : - CV : "A force de penser à ma guenille, je me dis : que la fièvre doit toujours être causée par une inflammation quelconque, et que, plus je m'adoucirai le coffre, mieux je ferai" - AC : "Vous avez très sagement fait tout ce qui devait calmer cette maudite fièvre, que j'attribue comme vous à la surexcitation des intestins par l'huile infernale" (p.332-333).
[80]- Par exemple p.14, 40 ...
[81]- Voir entre autres AC à CV : p.84, 194, 212, 321 ; p.97, 323, 328, 331, 338, 359 ; p.14, 273, 334, 349, 362 ; p.16, 17, 335 ...
[82]- Cf. AC à CV : p. 16, 20, 29, 106, 124, 196, 308, 322.
[83]- AC à CV par exemple : p.310, 311.
[84]- Cf. AC à CV, p.113.
[85]- Cf. AC à CV : 22 février, p.326.
[86]- AC à CV : p.252, 311, 332, 333. 
[87]- Voir par exemple la signification qu'il donne à Willelmine : "douloureuse expansion, qui outre sa précieuse efficacité de situation doit opérer en vous une sorte de purgation morale, propre à vous soulager enfin du poids du passé" (p.212) ;  '"enfantement si cher à tant de titres où l'ensemble d'un douloureux passé va fonder un noble avenir" (p.333). 
[88]- Clotilde avoue à Auguste s'être essayée à la poésie et lui envoie l'une de ses productions : "Les pensées d'une fleur" qui font pleurer Comte d'admiration (cf. voir lettres de fin novembre et début décembre, p. 210-216) Comte publiera ce poème avec Lucie dans la Dédicace du Système.  
[89]- CV à AC : p.128, 210, 265.
[90]- Cf : CV à AC : 3 juillet, p.55, à propos de Lucie ; 18 octobre, p.155, à propos de Willelmine.
[91]- AC à CV : "Quand le noble Vauvenargues a dit 'Les grandes pensées viennent du coeur', il ne sentait probablement pas toute l'intime réalité de cet aperçu instinctif (...) Cette heureuse connexité entre l'essor mental et l'esssor affectif (...) convient assurément davantage aux travaux qui, comme les miens, directement relatifs à la philosophie sociale, se proposent continuellement de développer autant que possible la grandur de la nature humaine" (p.13)
[92]- AC à CV , 28 mai : "Ce qui vient de se passer constitue certainement l'une de ces phases rapides, mais décisives, où toute une nature morale se déroule meiux en quelques jours que pendant le long cours de plusieurs années vulgaires : ce qui les rend d'ailleurs éminemment propres à l'art dramatique, même quand tout y consiste, comme ici, en simples entretiens" (p.22).
[93]- AC à CV, 6 juin, p. 35.
[94]- Voir AC à CV 3 juillet, p.54-55. Clotilde s'en défend - assez mollement. Mais Comte persiste, p.157.
[95]- Voir AC à CV p.156, CV à AC, p.158
[96]- D'Alembert et Melle de Lespinasse, Voltaire et son Emilie : voir AC à CV 29 octobre, p.168, 16 novembre, p.197, 200. Après la mort de Clotilde, ce sont les couples littéraires et poétiques, et surtout celui de Dante et Béatrice, qu'évoque Comte : Voir Dédicace du Système.  
[97]- Cf. par exemple, AC à CV : comparaison avec Mme Rolland, mais que Clotilde surpasse cependant en élévation, loyauté, pureté, noblesse et générosité (p.360)  
[98]- Cf. AC à CV : 17 mai, p.14 ; 5 août, p.83-85 ; 2 novembre, p.175 ;
[99]- AC à CV, lettres du 2 juin 1845, p.25-33.
[100]- Cf. à Madame Félicie Marie, 28 août 1845, "Lettre philosophique sur l'appréciation sociale du baptême chrétien", p.97-100. 
[101]- Voir lettres de début-janvier, p.271-289. A remarquer que lorsqu'elle  demande puis reçoit ce cadeau, Clotilde exprime sa décision de retraduire les allures systématiques de l'écrit de Comte en forme romanesque, et d'en trier ce quelle retient.
[102]- Parmi les multiples occurences de ce thème : voir p.122, 126, 171, 175, 187-188, 304-305
[103]- AC à CV :  "En vous adorant, je deviens, à tous égards, meilleur ; et ce perfectionnement me conduit à vous aimer davantage" p.323 ;  "A mesure que mon affection se développe, elle s'épure davantage" p.338.
[104]- Parmi les explicites références voir AC à CV, p. 96 ; Clotilde accepte de considére la "chevaleresque" conduite de Comte, par exemple CV à AC, p.271.
[105]- Par exemple p.41
[106]- AC à CV, p.171 - Echo chez Clotilde qui veut faire de Willelmine "une femme qui aime l'humanité pour elle-même, et sans terreurs pour la marmite bouillante d'en bas, comme sans espérances de posséder un lit de roses dans l'éther ..." (p.168).
[107]- Comte emploie cClotilde aussi donne aussi — plus tardivement —dans la sanctification : du coeur de Comte "sanctuaire" (p.319) et de leur attachement (p.352).
[108]- Sur le "fétichisme" assumé voir par exemple AC à CV : p 212, 219 ; la promotion de quelques objets en "talismans" p.219. 
[109]- Voir les explications de la Dédicace du Système, la conclusion du Discours sur l'ensemble du positivisme, le Catéchisme positiviste. Rappelons que le Système de politique positive a pour sous-titre ou "Traité de sociologie instituant la religion de l'Humanité".  Sur les positions de Comte sur la place socio-religieuse des femmes, voir nos articles écrits en collaboration avec Bernadette Bensaude-Vincent : "Le féminisme militant d'un auguste phallocrate : à propos du Système de Politique positive  d'A. Comte", Revue Philosophique, n° 3, 1976, pp. 293-311 ; "Comte, Michelet : La femme consacrée",Actes du Colloque "Romantisme et religion ;  P.U.F., 1980, 22 p.

23 janeiro 2013

Sobre o uso da língua portuguesa e a "cultura jovem"

É motivo do mais profundo lamento o fato de que entre os rituais de sociabilização contemporâneos, pelo menos no Brasil, inclua-se a demonstração de uma ignorância e de uma insegurança, reais ou fingidas, com respeito à língua portuguesa. É ainda mais lamentável o fato de que tais ignorância e insegurança, reais ou fingidas, persistem com o passar do tempo e que o que podia ser inicialmente fingido e o que podia ser apenas um ritual de sociabilização torna-se parte da cultura "jovem". 

E - sem querer ser misoneísta - também é fato que a internet estimula o pior dessa ignorância. Assim, é quase impossível ouvir conversas de jovens - não somente de adolescentes, mas também de adultos jovens, isto é, daqueles até a casa dos 25 anos - sem que erros crassos de português apresentem-se, além dos temíveis "tipo", "tipo assim", "saca", "mano", "véio", "véi" e por aí vai. 

Ser "maneiro" exige que não se conheça a língua e/ou que não se a use corretamente: muito, muito lamentável.

Biologia, Sociologia e necessidade de uma ciência específica para o ser humano


Ao avaliar a Biologia, Augusto Comte afirma com enorme clareza dois fatos: por um lado, que o estudo do ser humano baseia-se no estudo das relações vitais; por outro lado, que, em virtude das características específicas da humanidade, é necessária uma ciência radicalmente diferente da Biologia a fim de estudar-se o ser humano.
Entretanto, quais são os motivos que exigem uma ciência "radicalmente diferente" exclusiva para o ser humano? São várias razões, de diferentes ordens. Inicialmente, o fato de que o ser humano é um ser caracterizado pela continuidade, o que, no vocabulário cifrado de Comte, quer dizer que o ser humano é um ser histórico. Em segundo lugar, a coordenação dos conhecimentos humanos exige uma perspectiva subjetiva (ou seja, do método subjetivo), que só pode ser fornecida pela ciência que conheça o próprio ser humano, ou seja, a Sociologia (e, nos volumes seguintes do Sistema de política positiva, também a Moral). Em terceiro lugar, a própria Biologia necessita da perspectiva humana para estruturar-se, seja por ter uma referência teórica (o ser humano), seja para justificar seus estudos específicos.
Deixando de lado a avaliação comtiana da Biologia, o trecho abaixo evidencia o quanto são radicalmente erradas as afirmações – comuns, é verdade – de que o Positivismo e Comte teriam reduzido a Sociologia à Biologia, ou seja, que eles esposariam uma perspectiva biologizante do ser humano. Nada mais errado que isso.

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“Ainsi, la suprême vitalité, particulière au Grand-Être, se lie encore mieux à la vitalité intermédiaire des animaux que celle-ci à la vitalité fondamentale des végétaux. Cette progression nécessaire complète le dualisme élémentaire da la philosophie naturelle entre le monde et la vie, en le rattachant étroitement à la seule source possible d'une synthèse réelle. Mais, malgré l'intime connexité de notre existence sociale avec la simple existence animale, son étude directe exige une science radicalement distincte. Ayant pour base objective l'ensemble hiérarchique des autres théories abstraites, elle constitue, au point de vue subjectif, l'unique régulateur commun de leurs méthodes et de leurs doctrines. Le concours général, dans l'espace et dans le temps, des organes qui composent l'être immense et éternel, demande une appréciation spéciale, à la fois statique et dynamique, à laquelle la biologie ne peut davantage suppléer que la cosmologie, quoique toutes deux lui fournissent un préambule nécessaire. C'est, au contraire, à la sociologie que la biologie doit demander la véritable théorie des plus hautes fonctions de l'animalité. Il faut, en effet, que chaque classe de phénomènes s'étudie surtout dans les êtres où elle se développe le mieux, et d'où l'on passe ensuite aux cas moins prononcés. Or, ces attributs supérieurs, soit intellectuels, soit moraux, quoique plus complets chez notre espèce, ne s'y caractérisent assez que par l'existence sociale. Sans la solidarité, et surtout la continuité, qui la rendent si supérieure à toute autre, ses principales aptitudes y seraient presque aussi équivoques que dans les races voisines, où l'on tenta de les rapporter au pur automatisme. Ainsi, les mêmes motifs, logiques et scientifiques, qui réservent à la végétalité l'étude fondamentale de la vie de nutrition, représentent notre socialité comme pouvant seule manifester les plus nobles lois de la vie de relation. Cette nécessité philosophique explique l'extrême imperfection de la théorie générale des fonctions intellectuelles et morales, même depuis que Gall et Cabanis ont tenté d'en exclure toute métaphysique en la rattachant à l'ensemble de la biologie. Leurs lois réelles ne peuvent être découvertes et établies que par la sociologie, quoique sa propre fondation ait d'abord exigé l'usage provisoire des meilleures ébauches antérieures. Quelque utile que doive devenir, à cet égard, l'étude positive des animaux, elle ne comportera jamais qu'un office secondaire, à titre de contrôle naturel des conceptions sociologiques dont elle ne saurait dispenser. Son efficacité ultérieure restera donc essentiellement analogue à la précieuse réaction critique qu'elle exerça récemment contre les hypothèses théologico-métaphysiques. En un mot, la biologie ne peut cultiver dignement ce grand sujet qu'en s'y subordonnant à la sociologie, qui seule y est vraiment compétent” (Comte, Système de politique positive, v. I, p. 621-622).