03 março 2011

Mitos anti-republicanos, laicidade e comunitarismo

Mais um artigo da filósofa política francesa Catherine Kintzler, sobre a laicidade. Disponível originalmente em: http://www.mezetulle.net/article-mythes-antirepublicains-et-communautarisme-68013363.html.

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Mythes antirépublicains, laïcité et communautarisme
(Qu'est-ce que le communautarisme ?)
par Catherine Kintzler
En ligne le 24 février 2011

Le personnage du républicain « laïcard franchouillard » est un grand classique du roman antirépublicain. Ce mythe n'a aucun fondement conceptuel, mais il s'incarne dans une caricature et donne naissance à des fantasmes dont les effets sont bien réels. Le franchouillard et le multiculturaliste se confortent l'un l'autre en construisant de toutes pièces leur objet fantasmatique commun que les uns révèrent et que les autres abhorrent : « les musulmans », comme s'il s'agissait d'un bloc identitaire unifié. Ce faisant, tous deux confondent le communautaire et le communautarisme. Il importe de rappeler que la laïcité, qui s'oppose au communautarisme politique, n'a rien contre les communautés d'association, car toute communauté n'est pas communautariste. Il faut donc se demander ce qu'on entend au juste par communautarisme.(Intervention au colloque de l'Observatoire international de la laïcité contre les dérives communautaires « État de la laïcité et du communautarisme en Europe », 22 janvier 2011)

1 - Portrait-robot du républicain laïcard franchouillard

Je commencerai par dresser le portrait-robot du républicain laïcard franchouillard tel que le présente le roman anti-républicain.

1.Il considère que la France est la seule république au monde et pour définir la laïcité il se limite à la référence franco-française, plus particulièrement à la III République. Comme j'ai commencé mon livreQu'est-ce que la laïcité ? en montrant que c'est faux du fait que la référence à la pensée anglaise classique est nécessaire pour rendre intelligibile le concept de laïcité, je ne perdrai pas mon temps à démolir ce mythe (1).
2.Il se fait une notion rigide et antireligieuse de la laïcité, qui se réduit pour lui à l'opposition public / privé, opposition qu'il interprète de manière restrictive, la liberté religieuse étant à ses yeux cantonnée à l'espace intime. Tout le reste est pour lui soumis à un « nettoyage » sévère... mais il s'en prend presque exclusivement aux musulmans.
3.Il a en horreur toute particularité, il pourchasse la diversité, c'est un « équarrisseur » qui sous prétexte d'universalisme impose une culture uniformisée. Il considère comme suspecte et menaçante toute existence de communauté. Il fétichise la différence entre le civil et le politique, qu'il présente comme une opposition conflictuelle : son propos consiste à nier le civil au profit du seul politique. On ne peut pas à ses yeux être à la fois une personne membre de la société civile et un citoyen : il faut choisir.


2 - Une caricature et deux dérives symétriques

Cette caricature hélas existe, nous la connaissons sous une forme groupusculaire, à laquelle l'opération saucisson-pinard a permis d'effectuer sa jonction avec une récupération de plus grande ampleur qui fait grand bruit ces derniers temps. Il faut ajouter que l'opération ne serait pas aussi brillante si elle n'avait été alimentée de longue date par la naïveté de la bienpensance multiculturaliste adoptée par des politiques – tant de gauche que de droite – profondément ignorantes de la laïcité (je n'ose pas dire : profondément hostiles à la laïcité).

Ce mythe franchouillard n'a aucun fondement conceptuel, mais il donne naissance à des fantasmes dont les effets sont bien réels. Le franchouillard et le multiculturaliste se font face, se confortent l'un l'autre en construisant de toutes pièces leur objet fantasmatique commun que les uns révèrent et que les autres abhorrent : « les musulmans » comme s'il s'agissait d'un bloc identitaire unifié.

Il faut donc sans cesse rappeler que la laïcité ne se confond, ni avec un « nettoyage » des manifestations religieuses de tous les espaces, ni avec une acceptation de ces mêmes manifestations partout. On doit sans cesse dénoncer ces deux dérives symétriques et complices.

A cet effet il est nécessaire dissocier l’espace de constitution du droit et des libertés (domaine de la puissance et de l’autorité publiques rendant les droits possibles – il inclut notamment l'école publique) d’avec celui de leur exercice (espace civil ouvert au public et espace privé de l'intimité).
Sans cette distinction, la laïcité perd son sens : c’est précisément parce que la puissance publique et le domaine qui lui est associé s’astreignent à la réserve en matière de croyances et d’incroyances que les libertés d’expression, d’opinion, etc. peuvent, dans le respect du droit commun, se déployer dans la société civile sous le regard d’autrui (par exemple : la rue, le métro, une boutique, un hall de gare...) et dans l’espace de la vie privée à l’abri du regard d’autrui. Ce déploiement s'effectue conformément au droit commun qui certes protège les religions, qui les protège aussi les unes des autres, mais qui protège tout autant le fait de n'avoir aucune religion. Il faut que l'exercice de toutes ces libertés ne soit jamais contraire au droit d'autrui.

Autrement dit, le régime de laïcité articule le principe de laïcité avec le principe de tolérance ou de libre affichage.
La dérive multiculturaliste bienpensante (attention je n'ai pas dit « multiculturelle » car la société est multiculturelle, c'est un fait) consiste à abolir la laïcité du domaine de l'autorité publique, ce qui revient à « communautariser » l’ensemble de la société.
La dérive symétrique, une sorte d’extrémisme laïque, consiste à exiger que le principe d’abstention qui règne dans le domaine de la puissance publique s’applique aussi dans la société civile : on prive alors celle-ci tout simplement d’une de ses libertés fondamentales, la liberté d’expression.[ Haut de la page ]

3 - Pourquoi le mythe d'un républicain laïque allergique à la notion de communauté est-il si tenace ?

L'association républicaine laïque, suppose la non-appartenance : elle ne repose sur aucun lien préalable, qu'il soit religieux, social, ethnique, etc. C'est un minimalisme. Cela ne signifie pas qu'elle doive éliminer toute appartenance comme lui étant contraire. Cela signifie qu'elle n'a pas besoin de ces références pour se construire et pour se maintenir. La citoyenneté elle-même n'est pas pensée comme une appartenance. C'est cela qui fonde la distinction entre l'ethnique et le politique.

Seulement, ce que le roman antirépublicain oublie, c'est que tous les États de droit pratiquent cette distinction, à des degrés divers. Dans tout État de droit, l'association politique se forme de manière historique et réfléchie, elle n'est pas spontanée, elle n'est pas dictée par une norme qui lui serait extérieure. Aujourd'hui, et ce n'est pas la première fois dans notre histoire, on tente de nous imposer une conception ethnique de la nation. Il faut être très ferme sur la thèse de la formation politique, historique et critique de la nation. En recevant la nationalité française, mon grand-père immigré d'origine italienne n'a pas reçu sur la tête « nos ancêtres les Gaulois » : il a choisi d'avoir pour ancêtres spirituels les vainqueurs de la Bastille et les auteurs de la Déclaration de 1789. Cette filiation-là ne passe pas par le sang, ni par une assimilation fusionnelle : elle s'acquiert, et cela est vrai pour tous, immigrés ou non.

L'association politique laïque opère la distinction entre l'ethnique et le politique conformément au concept de laïcité, qui suppose que le corps politique ne repose sur aucun lien qui lui soit préalable ou extérieur.
Elle considère que le droit de l'individu est toujours fondamental, prioritaire sur tout droit collectif – et qu'un droit collectif n'a de sens que s'il accroît le droit de l'individu. On voit bien la conséquence sur la notion même de « droit des communautés ». On peut appartenir à une communauté, on peut s'en détacher sans craindre de représailles. On peut être « différent de sa différence »(2), échapper aux assignations différentialistes qui vous clouent à une identité que vous n'avez pas choisie ou dont vous rejetez certaines propriétés.

Une république laïque est ce que les logiciens appelleraient une classe paradoxale (3) : un ensemble d'éléments qui ne se rassemblent qu'en vertu de leur singularité, de ce qui les fait différer. Dans une telle association politique, le droit d'être comme ne sont pas les autres non seulement est assuré, mais il est au principe de l'association. Le seul but de l'association politique est l'existence, la préservation et l'extension des droits de chaque individu, pris singulièrement. Tout autre but est récusable.
Aussi devons-nous faire attention lorsque nous parlons du « vivre-ensemble » : c'est précisément parce que la république laïque assure d'abord le vivre-séparément qu'elle peut assurer mieux que toute autre le vivre-ensemble.[ Haut de la page ]

4 - Qu'est-ce que le communautarisme ?

Cela entre-t-il en conflit avec la notion de communauté ? Oui, si et seulement si une communauté bascule dans le communautarisme. Et le mythe antirépublicain fait comme s'il y avait coïncidence entre le communautaire et le communautarisme : au fond, le mythe antirépublicain, volontiers relayé par une gauche bienpensante, adopte ici une thèse familière à l'extrême-droite.

Il nous faut donc poser la question permettant de distinguer le communautaire et le communautarisme : toute communauté est-elle nécessairement communautariste ? La réponse est non. Cette réponse montre bien que la république laïque ne combat que le communautarisme, et qu'elle n'a rien contre les communautés.

Toute communauté n'est pas communautariste
S'assembler en vertu de ressemblances, d'affinités, d'origines, de goûts, de tout caractère commun, c'est former communauté. Il existe des associations culturelles, des associations cultuelles, des associations non-mixtes, des associations philosophiques, des associations de gens qui ont les cheveux roux ou qui mesurent plus de 1,75m... Cela est non seulement permis en république laïque, mais c'est encouragé, pourvu que rien ne contrarie le droit commun : les grandes lois sur les associations donnent un cadre juridique à ces communautés. On sait peu, par exemple, que le développement des langues régionales n'a jamais été aussi important que sous la III République, grâce à des petites académies qui ont profité de cette législation : le mythe antirépublicain n'aime pas qu'on lui rappelle cela.
A partir de quand peut-on parler de communautarisme ? (4)

Le communautarisme social
Une première forme de communautarisme repose sur l'exercice d'une pression sociale négatrice de la liberté des individus. Elle consiste à considérer qu'un groupe jouit d'une sorte de « chasse gardée » non seulement sur ses membres mais sur tous ceux qu'il estime devoir le rejoindre. Imaginons une association de roux qui considérerait que tous les roux n'adhérant pas à l'association, ou n'observant pas ses usages, sont des traîtres, des renégats et qui le leur ferait savoir par des brimades...

Transposée à d'autres domaines, on voit bien que ce qui accompagne cette forme de communautarisme social, c'est l'apostasie. Voilà comment, par exemple, Mohamed Sifaoui est menacé de mort par les intégristes islamistes. Voilà comment une jeune fille, dans certains secteurs, et pourvu qu'elle soit « étiquetée » par son apparence ou autre chose, aura des ennuis si elle ne porte pas une certaine tenue vestimentaire. Voilà comment la même jeune fille ou d'autres seront « invitées » à se marier sans qu'on tienne compte de leur souhait. Voilà comment on entend des gens déclarer qu'ils ne veulent pas être enterrés à côté de Juifs « et encore moins d'athées » (5).

Le communautarisme politique
A partir de là, et si on laisse ce type de communautarisme social exercer des représailles impunément – si on ne protège pas les individus, si on sacralise la vie en commun sans discernement, si on n'est pas ferme sur le droit fondamental à vivre séparé – se développe inévitablement la deuxième forme : le communautarisme politique.

Elle consiste à ériger un groupe en agent politique, à vouloir pour lui des droits et des devoirs distincts des droits et devoirs communs à tous. On peut donner comme exemple la revendication de « corsisation des emplois ». Autre exemple : les quotas, la revendication de « représentation » politique sur la base exclusive d'une particularité collective. Entendons-nous bien : des propositions communautaires peuvent alimenter le débat politique ou même inspirer un programme politique (par exemple celui d'un parti), mais elles ne peuvent pas, ce faisant, ériger une portion du corps politique en autorité séparée ni privilégier une portion des citoyens sur la base d'une particularité ; la loi est la même pour tous, les prérogatives ou distinctions qu'elle accorde à tel ou tel sont accessibles en droit à tous.

Le fondement des États de droit, c'est que le corps politique est formé uniquement par des individus. Leur pari, c'est qu'on peut et qu'on doit transcender la vision morcelée et tribale de la société : c'est qu'on peut et qu'on doit unifier par une loi commune reposant sur des principes universels cette mosaïque qui nécessairement tend vers un régime maffieux.

Le communautarisme politique c'est l'officialisation de la différence des droits : elle peut prendre le nomsoft d'équité (« chacun et surtout chacune à sa juste place »), elle peut prendre le nom soft de « discrimination positive » ou d' « accommodement raisonnable », mais il s'agit toujours d'établir des privilèges et corrélativement des handicaps. C'est la rupture de l'égalité des droits.[ Haut de la page ]

5 - Comment lutter contre le communautarisme politique ?

Parmi les États de droit, ceux qui s'en tiennent à un régime de tolérance (toleration) sont moins bien armés qu'une république laïque pour combattre cet émiettement politique qui inévitablement favorise l'affrontement entre communautés (quand il ne l'organise pas). Le problème de la République française ce n'est pas qu'elle est désarmée, c'est que les politiques ne se saisissent pas des armes et qu'ils manquent de volonté, parce que trop souvent ils s'inclinent devant les demandes communautaristes.

Ajoutons que les armes juridiques ne sont rien sans une politique résolue de maintien et de développement des services publics. Par exemple, si on abandonne la protection sociale publique, inévitablement on passe le relais à d'autres structures, parmi lesquelles les associations cultuelles. La marchandisation des services publics est une politique qui encourage la communautarisation. Là encore, les politiques ne sont pas assez vigilants – et ils sont même souvent les agents de ce démantèlement anti-laïque.

A nous de les réveiller. Je le ferai à ma manière en vous proposant un discours, une sorte de prosopopée. Voici ce que j'imagine que la République laïque dit à tous ceux qui sont tentés ou menacés par le communautarisme.

1° Si vous avez un culte ou une coutume, vous pouvez les pratiquer librement et les manifester, pourvu que cette pratique et cette manifestation ne nuisent à aucun autre droit. Vous pouvez même leur donner une forme juridique.
2° Si vous n'avez pas de culte ni de coutume ou si vous voulez vous défaire de ceux qui vous ont été imposés, la loi vous protège : « la République assure la liberté de conscience » éventuellement contre ceux qui tenteraient de vous contraindre à une appartenance particulière. Vous pouvez librement changer de religion, changer de communauté, vous pouvez librement vous détacher de toute communauté et vivre comme le promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau.
3° En revanche, si vous tentez d'ériger une religion, une appartenance, en autorité politique (si vous essayez de faire en sorte qu'elles deviennent une loi), si vous considérez qu'une partie de la population est tenue d'adhérer à une appartenance, qu'elle est une « chasse gardée » pour vous et ceux que vous considérez être les « vôtres », alors vous trouverez la loi en face de vous : vous n’avez aucun droit à forcer une personne à appartenir à une communauté. Aucun dieu, aucune foi, aucune appartenance autre que la participation au corps politique – qui n'est pas une appartenance mais un consentement raisonné - ne peut dicter sa loi à la République française. C'est précisément à ce prix qu'elle garantit la liberté de conscience et la liberté de culte à toutes les personnes qui vivent sur son territoire.


6 - Se dépayser : le déraciné est le paradigme du citoyen

Ce modèle de « déracinement » est l'application même du principe de laïcité au citoyen, c'est une espèce d'alchimie qui élève l'homme vers le citoyen, car le déraciné est le paradigme du citoyen. Cela ne se fait pas tout seul. Et pour ceux qui ont la chance d’être encore très jeunes, il s'effectue dans un lieu particulièrement concerné par la laïcité : l'école de la République. L'école républicaine est elle-même un paradigme pour comprendre le processus qui conduit à la citoyenneté.

L'école est en effet un lieu où, pour apprendre, on se dépayse, où on se libère de son environnement ordinaire. C'est vrai pour l'enfant d'agriculteur, pour l'enfant d'ouvrier, pour l'enfant de chômeur, pour l'enfant de cadre supérieur. En devenant élève, chaque enfant vit une double vie. En effet, pour apprendre, il faut faire un pas à l'extérieur et en deçà des certitudes.

Exemple particulièrement intéressant en rapport avec notre sujet : la langue. Apprendre la langue française à l'école, c'est apprendre une langue étrangère. Ce n'est pas la langue qu'on parle à la maison, et cela devrait être la même chose pour les petits locuteurs Français eux-mêmes : la découverte et la ré-appropriation d'une langue qu'ils croient savoir. Voilà pourquoi il faut faire de la grammaire, et lire les poètes.

Ce qui est vrai de la langue française est vrai des langues dites régionales : vouloir les réserver à des « natifs » ou leur donner la priorité dans son enseignement, c'est du communautarisme. Jamais Frédéric Mistral n'a considéré que le provençal devait être la chasse gardée des Provençaux. Aussi a-t-il composé un magnifique Dictionnaire (6). Aussi a-t-il traduit sa Mireille dans une langue d'oïl superbe. Et j'en reviens donc à ma proposition, qui sera ma conclusion : il faut lire les poètes.
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© Catherine Kintzler, 2011


Notes [cliquer ici pour fermer la fenêtre et revenir à l'appel de note]
  1. Les lecteurs de Mezetulle trouveront un aperçu de cette analyse dans l'article Secularism and French politics.
  2. J'emprunte cette expression à Alain Finkielkraut.
  3. Concept développé par Jean-Claude Milner dans Les Noms indistincts, Lagrasse : Verdier, 2007 (2 édition), chap. 11.
  4. Sur la formation du communautarisme et ses effets, on lira avec profit l'ouvrage de Julien Landfried Contre le communautarisme, Paris : A. Colin, 2007. Recension sur Mezetulle.
  5. Le Parisien, 30 mai 2009, p. 9. Voir l'article sur Mezetulle.
  6. Frédéric Mistral Lou Tresor dóu Felibrige, Dictionnaire provençal-français embrassant les divers dialectes de la langue d'oc moderne (1878), en ligne sur Lexilogos.

04 fevereiro 2011

Laicidade, soberania e cultura crítica

Novo artigo da filósofa francesa Catherine Kintlzer sobre a laicidade, agora a respeito da relação entre laicidade, republicanismo e a escola. O original está disponível aqui.

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Laïcité scolaire, souveraineté et culture critiquepar Catherine Kintzler
En ligne le 1er février 2011

Première question : pourquoi l'école est-elle un élément décisif dans la pensée laïque? Cela n'a rien d'évident. On comprend que les personnels de l'école publique soient astreints à la réserve dictée par le principe de laïcité, mais pourquoi les élèves devraient-ils eux aussi observer ce principe ? Cela suppose que l'école n'est pas un simple service destiné à des usagers. Deuxième question : l'école de la République est-elle faite pour la République ? La réponse est non : l'école publique, comme toutes les institutions républicaines, a pour seule fin la liberté. Troisième question : quel est le rapport entre les savoirs, dont l'apprentissage est contraignant, et la liberté ? La réponse est que les savoirs sont en eux-mêmes des objets libres et libérateurs pour les sujets qui les produisent ou se les approprient.
A la mémoire du professeur Claude Nicolet, grand historien de l'idée républicaine.
« Si la nature vous a donné des talents, vous pouvez les développer, et ils ne seront perdus ni pour vous, ni pour la patrie. »
Condorcet, Rapport et projet de décret sur l’organisation générale de l’instruction publique

Sommaire de l'article :
  1. Un bref rappel : principe de laïcité et liberté d'affichage
  2. Pourquoi l'école publique est-elle intégralement soumise au principe de laïcité ?
  3. L'école de la République est-elle faite pour la République ?
  4. Liberté et progressivité du savoir. Qu'est-ce qu'un savoir élémentaire ?
  5. Autonomie des savoirs et autonomie des esprits
  6. Notes

Pourquoi l'école est-elle au cœur de la question de la laïcité, pourquoi l'école est-elle un élément décisif dans la pensée laïque? Cela n'a rien d'évident. C'est même plutôt paradoxal.
Pour aborder cette question, je m’appuierai notamment sur une distinction proposée par Marie Perret dans son article « Comment défendre l'école publique aujourd’hui ? » : l'école comme institution et l'école comme concept.


1 - Un bref rappel : principe de laïcité et liberté d'affichage

On sait que l'école comme institution républicaine est concernée par le principe de laïcité : elle en est même un révélateur. Rappelons les affaires du voile dans les années 1990. Pour penser la laïcité scolaire, il faut en effet aller plus loin que la simple et apparemment nette distinction entre « espace public » et « espace privé » universellement reprise. Car si la notion d'espace privé est en général assez claire (c'est ce qui est soustrait au regard d'autrui – il vaudrait mieux parler d’espace intime), en revanche la notion d'espace public est ambivalente, elle peut désigner deux choses distinctes : le domaine de constitution, d'énonciation et de maintien du droit et des libertés (que j'appellerai domaine de l’autorité publique) ; elle peut désigner aussi les lieux de l'exercice public des droits et libertés, sous le regard d'autrui (espace civil ouvert au public).

Sans cette distinction, la laïcité perd son sens. La laïcité comme principe (c’est-à-dire la réserve, l’abstention ou le silence s’agissant des croyances et incroyances) ne vise en effet que le domaine participant de l'autorité publique. Ce principe de laïcité est un aveuglement qui se réfère à une conception de l’association politique : l'association politique et les droits qu'elle assure sont indépendants de toute conception religieuse, de toute croyance ou incroyance, de toute référence à un lien communautaire qui lui serait préalable. C'est un minimalisme : le lien politique ne doit son existence et sa possibilité qu'à sa propre pensée, il ne s'autorise d'aucun élément qui le transcende.

Ce que nous appelons le principe de laïcité est la traduction concrète de cet aveuglement et de ce minimalisme : il exige de la puissance publique l'abstention en matière de croyances et d'incroyances.
Le corollaire est que, si la puissance publique s'abstient en ces matières, l'espace civil et l'espace intime (privé) jouissent de la liberté d'exercer et de manifester croyances et incroyances, , dans le respect du droit commun opposable à tous. Il en résulte que les manifestations d'opinion (y compris religieuses) peuvent se déployer, pourvu qu'elles ne contrarient aucun autre droit, dans la société civile sous le regard d’autrui (par exemple : la rue, le métro, une boutique, un hall de gare..) et dans l’espace de la vie privée à l’abri du regard d’autrui.
Autrement dit, le régime de laïcité articule le principe de laïcité (ou encore principe de réserve) dans le domaine participant de l'autorité publique avec le principe de tolérance (ou encore de liberté de manifestation) dans l'espace civil public et privé (ou intime). [ Haut de la page ]


2 - Pourquoi l'école publique est-elle intégralement soumise au principe de laïcité ?

Une fois rappelés ces points fondamentaux, la question de la laïcité à l'école publique se présente alors sous une forme problématique qui a fait débat lors des différentes « affaires » de voile, de kippa, etc. Car on comprend bien que les personnels de l'école publique soient astreints à la réserve dictée par le principe de laïcité. Ce qui pose problème c'est l'inclusion des élèves dans le domaine de l'autorité publique, puisqu'on va leur demander d'observer eux aussi le principe de laïcité lorsqu'ils sont à l'école. Cela suppose que les élèves ne sont pas de simples usagers de l'école : ils sont, du point de vue de la laïcité, du même côté que les personnels, ils sont du côté de l'espace constituant du droit. En franchissant le seuil de l'école publique ils quittent non seulement leur espace intime mais aussi l'espace civil.

Je ne m’intéresserai pas aux arguments juridiques qui justifient cela, car je ne suis nullement juriste ; je me propose d’en donner une explication philosophique et pour cela, je recourrai à l'école comme concept. Car pour expliquer cette inclusion, il faut distinguer entre l'enfant et l'élève et s'engager dans une réflexion sur le fondement de la souveraineté politique républicaine.
Pourquoi considérer que les élèves sont partie prenante du domaine de l'autorité publique lorsqu'ils fréquentent l'école publique ? Ils ne sont pas à l'école pour consommer un service, ni pour accomplir une formalité administrative, même pas pour acquérir une formation : ils fréquentent l'école pour forger leur propre autorité, leur propre liberté, pour s'auto-constituer comme sujets du droit. L'horizon de l'école publique est la constitution d'un sujet qui s'approprie sa propre liberté et qui de ce fait est en état d'exercer son autorité politique. Même si tous ne deviendront pas nécessairement citoyens au plein sens du terme (l'école accueille tous les enfants, quelle que soit leur nationalité), tous doivent pouvoir l'être. Le lien entre l'école comme institution publique et la République a été pensé par la Révolution française, notamment par la théorie de l'instruction publique que Condorcet a développée dans ses Cinq Mémoires sur l'instruction publique. Il a été expressément pensé comme un lien politique, au sens où un peuple souverain ne peut exercer sa liberté que s'il est éclairé, sous peine de devenir son propre tyran – l'instruction publique est constitutive de la souveraineté républicaine.

On comprend alors que l'école n'est pas seulement un « service », ce n'est pas seulement un droit, une jouissance, c'est aussi un lieu producteur du droit, non pas au sens institutionnel (ce n’est pas un lieu législateur) mais au sens philosophique : c’est ici que les sujets du droit se constituent – on ne vient pas à l'école simplement pour jouir de son droit, mais pour l'instituer et pour l'instituer il faut s'en saisir, le comprendre. C'est un lieu radical, où prend racine l'autorité républicaine, ou plutôt l'autorité dont la République a besoin.[ Haut de la page ]


3 - L'école de la République est-elle faite pour la République ?

Si j'ai tenu à introduire cette nuance entre « autorité républicaine » et « autorité dont la République a besoin », c'est que cette réponse soulève à son tour une question.

En ce point, on pourrait en effet imaginer que l'Ecole de la République « fabrique » des citoyens à sa convenance, puisqu'elle est faite par la République et apparemment pour elle. Le lien politique institutionnel entre la République et « son » école pourrait conduire à une vision édifiante de l'enseignement : un endoctrinement. C’est du reste l’une des raisons pour lesquelles Condorcet a toujours soutenu qu’il faut un réseau privé d’enseignement parallèle au réseau public : l’instruction publique fait partie des institutions publiques nécessaires mais elle ne doit pas fonctionner en monopole.

Pour éclaircir cela, j'effectuerai un détour par un exemple historiquement fondateur. La question de la « formation du citoyen » et de l’orientation politique de l’instruction publique a en effet été abordée dans les très violents débats qui se déroulèrent durant la Révolution française, entre les partisans d'une « éducation nationale » d’inspiration tantôt militaire tantôt de style « patronage », orientée vers des buts politiques et moraux, et les partisans d'une « instruction publique » orientée principalement par les savoirs et leur développement.
Je me contente d'évoquer un point particulier de ce débat, qui est révélateur des relations entre institution éducative et institution politique. C'est le problème de la limite à donner l'institution de l'instruction publique (ou de l'éducation nationale). Il faut instruire les citoyens, certes, mais de quoi et surtout jusqu'où (jusqu’à quel niveau) doit-on financer des établissements publics ? Les institutions publiques doivent-elles couvrir l’intégralité de l’encyclopédie humaine ou bien doivent-elles être limitées et comment ? Les uns pensaient que cette limite devait être déterminée par une sorte de norme politique : selon eux, la nation devait financer ce qui est strictement nécessaire à l'exercice des droits et des devoirs. Les autres en revanche, faisant de l'individu et du développement de ses capacités le seul impératif et récusant tout objectif extérieur, pensaient que la nation devait déployer à ses dépens la totalité de l'encyclopédie accessible – y compris bien entendu le champ de la recherche fondamentale. J'ai étudié cela d'un peu plus près naguère dans un livre consacré à Condorcet (1), ce débat est très intéressant pour nous dans la mesure où il révèle bien la question de la nature de l'instruction et de son rapport à l'objet politique. Par certains aspects, il reprend les éléments du débat sur le luxe qui eut lieu au moment des Lumières. Il n'est pas non plus étranger à la question de la laïcité, ni à celle de la pédagogie.
Prolonger l'institution publique jusqu'à la fin de l'adolescence est un beau songe ; quelquefois nous l'avons rêvé délicieusement avec Platon ; quelquefois nous l'avons lu avec enthousiasme, réalisé dans les fastes de Lacédémone ; quelquefois nous en avons retrouvé l'insipide caricature dans nos collèges ; mais Platon ne faisait que des philosophes, Lycurgue ne faisait que des soldats, nos professeurs ne faisaient que des écoliers ; la République française, dont la splendeur consiste dans le commerce et l'agriculture, a besoin de faire des hommes de tous les états : alors ce n'est plus dans les écoles qu'il faut les renfermer, c'est dans les divers ateliers, c'est sur la surface des campagnes qu'il faut les répandre ; toute autre idée est une chimère qui, sous l'apparence trompeuse de la perfection, paralyserait des bras nécessaires, anéantirait l'industrie, amaigrirait le corps social, et bientôt en opérerait la dissolution.Michel Le Peletier de Saint-Fargeau, Plan d'éducation nationale (présenté à la Convention par Robespierre en juillet 1793)
Je reformulerai les termes de ce débat de façon sommaire par des catégories philosophiques. Régler l'extension de l'instruction publique sur un objectif qui lui est extérieur, c'est la placer sous un régime d'hétéronomie : elle trouve sa loi ailleurs qu'en elle-même. La régler au contraire sur le développement intrinsèque de l'encyclopédie, c'est la placer sous le régime de l'autonomie. On voit tout de suite les conséquences si on s'interroge sur la recherche scientifique : une recherche orientée par des impératifs extérieurs d’urgence ou d’utilité est asservie, on y abandonne la recherche fondamentale et finalement elle révèle sa fragilité. Aujourd’hui on s’aperçoit par exemple que la recherche sur les méduses, considérée comme quelque chose de totalement marginal et peu profitable il y a encore peu de temps, est de la plus grande utilité depuis que nos côtes sont envahies.
Mais s’agissant de l’école, y compris et surtout au niveau élémentaire, les conséquences ne sont pas moins importantes. [ Haut de la page ]


4 - Liberté et progressivité du savoir. Qu'est-ce qu'un savoir élémentaire ?

Lorsque Condorcet présente son projet d’instruction publique, il le fait en articulant conjointement la question de l’autonomie des savoirs et celle du citoyen : autrement dit, c’est de la liberté qu’il s’agit. Partisan de l'extension maximale de l'instruction publique et de sa continuité, il pose clairement la question des commencements et de l'élémentarité du savoir dispensé par celle-ci. Il la pose toujours en des termes qui conjuguent le concept de liberté et le concept de progressivité du savoir.
[…] l'indépendance de l'instruction fait en quelque sorte une partie des droits de l'espèce humaine. Puisque l'homme a reçu de la nature une perfectibilité dont les bornes inconnues s'étendent, si même elles existent, bien au-delà de ce que nous pouvons concevoir encore, puisque la connaissance des vérités nouvelles est pour lui le seul moyen de développer cette heureuse faculté, source de son bonheur et de sa gloire, quelle puissance pourrait avoir le droit de lui dire : Voilà ce qu'il faut que vous sachiez ; voilà le terme où vous devez vous arrêter ? Puisque la vérité seule est utile, puisque toute erreur est un mal, de quel droit un pouvoir, quel qu'il fût, oserait-il déterminer où est la vérité, où se trouve l'erreur ?Condorcet, Rapport et projet de décret sur l’organisation générale de l’instruction publique (avril 1792)

L'art de l'instruction consiste à présenter toutes les circonstances humaines ordonnées dans un système général et correspondant, selon leur nature et leur développement graduel, qui doit s'étendre autant que les progrès de l'esprit humain.C'est entre ces deux échelles de nos connaissances et de nos besoins, que les citoyens de tout âge et des deux sexes, exerçant les forces qu'ils ont reçues de la nature, et avançant librement et graduellement, pourront à chaque pas, acquérir, d'un côté, de nouvelles forces intellectuelles et physiques, pour les appliquer, de l'autre à leur utilité propre ou à l'utilité publique.Le degré où chacun s'arrêtera dans cette carrière sera celui que la nature marqua elle-même dans ses facultés comme le terme de ses efforts. Tout autre obstacle serait un attentat au droit de tout citoyen, d'acquérir toutes les perfections dont il est susceptible.Gilbert Romme, Rapport sur l’instruction publique (décembre 1792)
Un savoir élémentaire doit se suffire à lui-même pour fournir l’indépendance intellectuelle à un individu, mais il doit aussi rester ouvert et donner les clés d'accès à un savoir plus étendu : il permet à ceux qui se l'approprient de construire leur propre liberté et d’aller jusqu’au bout de leurs possibilités. La liberté s’entend ici dans ses deux sens philosophiques : le sens formel (l’indépendance) et le sens ontologique (la plénitude d’un être). La question de la liberté est liée à celle d'un dispositif progressif des savoirs dont l'ordre raisonné est le modèle (faire en sorte que chaque proposition, chaque étape, soit rendue intelligible par celle qui la précède et donne accès à celle qui la suit). On enseignera donc à l'école élémentaire, non pas des « modules » destinés à une efficacité immédiate permettant de « se débrouiller » dans la société (modules qui risquent de perdre leur prétendue utilité très vite), ni des « compétences » qui ne présentent aucune garantie d'ouverture et de libéralité épistémologique, encore moins des « comportements » ou un « savoir-être » qui ne sont rien d'autre que le nom soft du dressage, mais des éléments qui permettent de réfléchir en toutes circonstances pour juger et de s'approprier, si l'on poursuit, un maximum de connaissances.

Cela ne veut pas dire que tout le monde pourra poursuivre la totalité du cycle des études disponibles, mais que l'instruction élémentaire doit à la fois construire l'autonomie de celui qui l'acquiert et être la base d'une instruction plus étendue : ce « à la fois » n'est pas un compromis, c'est une identité. Une instruction vraiment élémentaire et libératrice c'est celle qui peut donner accès à l'ensemble de l'encyclopédie. Un enseignement élémentaire ne peut pas faire l'économie d'une réflexion sur le dispositif encyclopédique.
En formant le plan de ces études comme si elles devaient être les seules, et pour qu’elles suffisent à la généralité des citoyens, on les a cependant combinées de manière qu’elles puissent servir de base à des études plus prolongées, et que rien du temps employé à les suivre ne soit perdu pour le reste de l’instruction.Condorcet, Second Mémoire sur l’instruction publique (1791).

[…] nous espérons qu’on y verra le triple avantage de renfermer les connaissances les plus nécessaires, de former l’intelligence en donnant des idées justes, en exerçant la mémoire et le raisonnement, enfin de mettre en état de suivre une instruction plus étendue et plus complète.Ibid.
Dès 1791, Talleyrand avait énoncé ce croisement entre la liberté de l'objet épistémologique et la liberté politique par une magnifique formule :
[…] dans une société bien organisée, quoique personne ne puisse parvenir à tout savoir, il faut néanmoins qu'il soit possible de tout apprendre.Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, Rapport sur l'instruction publique (1791)
Cela n’est pas indifférent non plus au sujet des méthodes : une pédagogie républicaine s’adresse prioritairement à la raison de chacun, elle écarte l’appel à l’affectivité, à la séduction, à la crainte, à la seule utilité, elle considère que l’intérêt ne précède pas ce qu’on apprend, mais qu’il en résulte (2). On n'apprend pas les nombres parce que c'est utile pour compter, mais en apprenant les nombres, on se rend compte, outre que c'est utile pour compter, que c'est intéressant en soi.

Voilà, entre autres, pourquoi l’enfant n’est pas l’objet principal de l’école, l’école fait en sorte que l’enfant s’extraie de sa condition infantile, prenne distance avec ce qu’il est en vertu de déterminations qui lui échappent et s’élève, prenne intérêt à des choses et des opérations qui sollicitent et construisent son autonomie.
Voilà aussi pourquoi le choix entre une pédagogie sur objectif et sur compétences (« être capable de ») qui se règle sur des normes extrinsèques au processus de la connaissance et une pédagogie sur programme (« avoir compris pourquoi, avoir pris possession de ») qui se règle sur la libéralité de ce processus, est loin d’être neutre. Je suis capable de bricoler une page html, mais je n’ai pas vraiment compris comment et pourquoi cela fonctionne ; ici ma liberté est une liberté d’habileté, c'est la liberté du petit Hermès qui arrive à force de se tortiller à se débarrasser de ses langes. La véritable liberté commence ensuite, c'est celle d’un dieu, un dieu producteur, c'est une liberté génératrice – quand je comprends ce que je pense et ce que je fais, personne ne m'impose quoi que ce soit, je suis l'auteur de mes actes et de mes pensées. En philosophie on parlerait d’une ontologie de la liberté. La finalité de l’école républicaine, c’est cette liberté ontologique. L’autonomie des savoirs est isomorphe à celle des sujets qui produisent ou s’approprient ces savoirs. [ Haut de la page ]


5 - Autonomie des savoirs et autonomie des esprits

En réalité, du point de vue philosophique, cela n'est pas bien nouveau. On n’a pas attendu la pensée de la laïcité pour se rendre compte que l’autonomie des savoirs est conjointe à l’autonomie de chaque esprit produisant ou s’appropriant ces savoirs. En fait la philosophie l’a toujours su. Platon nous l’a appris, Descartes l’a reformulé avec la plus grande force, Spinoza lui a donné sa dimension ontologique absolue, Hegel l’a porté à la dimension d’une gigantesque fresque géo-historique, Bachelard a développé le paradigme scolaire comme paradigme de la formation de l’esprit scientifique, et Molière en a souligné la grandeur un peu ridicule dans Le Bourgeois gentilhomme, II, 4 et III, 3.

Ce qui est nouveau dans l'invention révolutionnaire de l'instruction publique, c'est que cette dimension de coïncidence philosophique entre l'appropriation personnelle des savoirs et la constitution du sujet dans son autonomie reçoit une traduction institutionnelle et universelle, s'adressant à tous sans exception, sous la forme de l'instruction publique.
L'instruction publique donne par là une forme institutionnelle à ce qui est le fondement de l'association politique laïque. Une association politique laïque pourrait se définir par le fait qu'elle ne recourt jamais, pour se légitimer, à une extériorité : aucune transcendance, aucun lien préexistant (qu'il soit coutumier, ethnique, religieux) ne soutient cette association ou ne lui fournit un modèle. L'association politique laïque est auto-fondatrice, comme est auto-fondatrice la construction et l'acquisition de la connaissance. En d'autres termes, son fondement suppose en chaque citoyen le fonctionnement d'un jugement raisonné.

Je peux m'associer à d'autres et consentir à obéir aux lois qu'ils jugeront nécessaires seulement si j'ai de bonnes raisons de penser qu'ils jugent raisonnablement et que rien dans leurs décisions ne portera atteinte à mes droits : l’association ne repose pas sur un acte de confiance, elle ne repose pas sur un enthousiasme ni sur un contrat, mais sur un fonctionnement critique continué. La formation du jugement raisonné suppose un parcours critique, à l'épreuve des doutes et de l'argumentation, capable de juger et capable aussi de mesurer son propre pouvoir de réflexion : c'est l'opposé d'une adhésion à des valeurs, qui réclament une sorte de foi et qui peuvent fluctuer selon un dispositif affectif. Et le « vivre-ensemble » n'est pas un préalable pour l'association : c'est parce que l'association politique assure d'abord le « vivre-séparément » dans la liberté et la sécurité qu'elle peut assurer le vivre-ensemble.

J'en conclus qu'une République n'a pas de valeurs au sens courant que nous donnons à ce terme ; elle produit des principes par l'exercice critique du jugement et en sollicitant celui-ci en chaque citoyen. C'est à cette production incessante, à cette création continuée que les principes républicains doivent à la fois leur solidité et leur fragilité. A nous de faire en sorte qu'ils soient solides.
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© Catherine Kintzler, Mezetulle 2011

Notes [cliquer ici pour fermer la fenêtre et revenir à l'appel de note]
  1. Catherine Kintzler, Condorcet, l'instruction publique et la naissance du citoyen, Paris : Folio-Essais, 1987 (2e édition).
  2. Expression empruntée à Jacques Muglioni L'Ecole ou le loisir de penser, Paris : CNDP, 1993, chapitre « La leçon de philosophie », texte également accessible en ligne. Un exemple : pour enseigner ce qu’est un cercle, on ne s’en tiendra pas à une observation d’objets ronds, de pastilles colorées ; on se demandera comment cette circonférence est produite ; on commencera par rater cette production en la tentant à main levée, puis on prendra une ficelle qu’on fixera à un clou et on attachera un crayon à l’autre extrémité, on tracera alors un véritable cercle, avec son mode de production, on l’engendrera, on remontera à l’un de ses principes d’intelligibilité. Ce qui est intéressant, ce n’est pas de s’ébahir devant un disque, c’est de s’emparer de ce qui fait sa rotondité… ce n’est pas d’exhiber un objet parfait ou une proposition vraie, mais de voir pourquoi un objet est imparfait et de voir pourquoi on s’y est mal pris, de voir pourquoi on s’était trompé, de comprendre pourquoi on n’avait pas compris. C’est ce moment de l’erreur comprise et rectifiée – rectifiée parce que comprise - qui est libérateur et qui conduit vers des sommets.

31 janeiro 2011

Último texto de Moisés Westphalen: resumo do Positivismo

O presente texto é o último escrito por Moisés Westphalen, positivista que por muitos anos foi o responsável pela Capela Positivista de Porto Alegre. Esse texto é um belo e conciso resumo da Religião da Humanidade; obtive-o por intermédio de Afrânio Capelli (atual responsável pela Capela de P. Alegre) e este, por sua vez, obteve graças ao neto de Moisés Westphalen, Cristiano Westphalen.

Nosso correligionário Afrânio Capelli pôs à disposição o texto originalmente aqui: http://positivismors.blogspot.com/2011/01/ultimo-texto-do-mestre-moises.html?showComment=1296499722757#c8445136413764502889.


* * *

A intervenção direta do indivíduo desaparece com a morte, mas a memória dos feitos, opiniões e sentimentos, prolonga a sua existência subjetiva, assegurando o progresso social.

Assim se transmitem atravéz das gerações as conquistas úteis e convergentes, morais, intelectuais e práticas alcançadas no passado e no presente, e se estabelece a continuaidade social.

Este elo subjetivo liga os indivíduos às gerações seguintes e permite conceber a Humanidade com ente supremo, perceptível e eterno, representado pelos seres humanos convergentes, que constantemente nos melhora, guia e sustenta.

Em qualquer estágio da civilização, a existência humana consiste sempre no estado de plena harmonia social. A solidariedade social funde-se nos laços afetivos das famílias afins, sob o princípio da cooperação. Os sentimentos, pensamentos e atos convergentes instituem a unidade social. O progresso humano corresponde ao aperfeiçoamento de nossa unidade.

Assim, a unidade só pode se conhecida através de um suficiente exercício coletivo. O sentimento é o motor supremo da existência humana. Sob inspirações dos sentimentos desenvolvemos a atividade e a inteligência, que por sua vez provocam reações afetivas, o aperfeiçoamento moral. O amor é assim o princípio e o destino do desenvolvimento humano.

A inteligência deve assessorar a atividade para servir o sentimento.

08 janeiro 2011

Comemorações e selos

Texto publicado em 14.3.2011 na Gazeta do Povo (Curitiba) e disponível aqui

* * *

Comemorações e selos

O ser humano é um ser social, histórico e simbólico: isso significa que só pode viver em sociedade, cujos resultados acumulam-se ao longo do tempo e que têm importância material e também cultural. Assim, como dizem, “recordar é viver”: nossas famílias, nossos concidadãos, os grandes nomes da Humanidade.

Os selos postais foram inventados no século XIX para facilitar as trocas comerciais e epistolares; começaram indicando apenas os valores monetários e logo passaram a homenagear valores, pessoas, datas e invenções: essa foi uma forma simples, barata e popular de cada país realizar sua historicidade.

O Brasil não é exceção e tem uma programação anual de selos oficiais comemorativos, lançados pela Empresa de Correios e Telégrafos, em comissão do Ministério das Comunicações. Não apenas figuras nacionais já foram homenageadas – o inventor Santos Dumont ou o time Corinthians, por exemplo –, mas também personagens mais distantes no tempo e no espaço – como o infante Dom Henrique, príncipe português do século XV que favoreceu as grandes navegações, e Santa Clara de Assis, companheira de São Francisco. Ao fazê-lo, os Correios e o Ministério das Comunicações realizam obra cultural importante, de amplo alcance humano.

Desde 2005, todavia, o Ministério das Comunicações do Brasil estabeleceu que, nos selos referentes a pessoas, somente se pode comemorar o nascimento, nunca a morte dos indivíduos. Na verdade, o item V.II da Portaria 500/2005 estabelece que “Selo homenageando personalidade deverá ser emitido, preferencialmente, no aniversário de nascimento do homenageado, evitando-se referência à data fúnebre”. Como já tive ocasião de comprovar, o “preferencialmente” é tomado ao pé da letra e lido como “unicamente”.
Essa decisão, tão simples, é tola, ingênua e contraproducente. Recusar a “referência à data fúnebre” parece medida de grande humanismo, mas é apenas demagogia barata, adotando a visão simplista e piegas (por sugestão de “marqueteiros”?) de que a morte é “ruim” e, como tal, deve ser “evitada”.

Assim, a questão que se apresenta é ao mesmo tempo bastante filosófica e de interesse público: o que é mais importante homenagear, o nascimento ou o falecimento? Ora, é evidente que todos os indivíduos que vivem ou viveram nasceram em algum momento; isso é algo para comemorar-se, sem dúvida. Mas um nascimento é apenas uma promessa, uma grande esperança, que pode realizar-se ou pode frustrar-se. A todo instante vemos pessoas que tinham “tudo para dar certo” mas que erraram e falharam, ou cujas decisões foram desastrosas; vemos políticos, artistas, pensadores, industriais e cidadãos comuns cujos comportamentos conduziram ao desastre não apenas as próprias vidas como as vidas dos demais indivíduos. Ou, inversamente, pessoas cujos nascimentos não prenunciavam muito mas cujas vidas foram plenas de significação e realizações.

Em outras palavras, avaliar de fato a vida de cada um só é possível no final dela, freqüentemente após vários anos (mesmo décadas ou séculos) do falecimento. Definir se alguém merece alguma forma de homenagem – com selo, estátua, nome de ruas, avenida, museu, cidade etc. – só é possível após o falecimento.

Essa perspectiva não guarda relações com a visão macabra sugerida pela Portaria do Ministério das Comunicações; em vez de centrar-se em indivíduos que vivem em si e para si, comemorar as datas dos falecimentos é afirmar que o ser humano é social, histórico e simbólico, isto é, que vive para os outros e nos outros e que, quando sua vida realmente valeu a pena, merece ser eternizada, inclusivamente nos pequenos adesivos que facilitam as comunicações humanas.

Comemorações de 223 (2011)

Comemorações do ano 223 (2011)

Tipo*

Vida

CALENDÁRIOS

Wikipédia**

Positivista

júlio-gregoriano

Antonino Pio

86-161

25.César

17.maio

http://pt.wikipedia.org/wiki/Antonino_Pio

FRANCIS BACON

1561-1626

14.Descartes

21.outubro

http://en.wikipedia.org/wiki/Francis_Bacon

Henry Briggs

1561-1631

4.Gutenberg

16.agosto

http://en.wikipedia.org/wiki/Henry_Briggs_(mathematician)

Defoe

1661-1731

6.Dante

21.julho

http://en.wikipedia.org/wiki/Daniel_Defoe

John Dollond

1706-1761

11.Gutenberg

23.agosto

http://en.wikipedia.org/wiki/John_Dollond

Quinto Ênio

239-169

22.Homero

19.fevereiro

http://pt.wikipedia.org/wiki/Quinto_%C3%8Anio

GUTENBERG

1400-1661

13.agosto-9.setembro

http://pt.wikipedia.org/wiki/Johannes_Gutenberg

DAVID HUME

1711-1776

28.Descartes

4.novembro

http://pt.wikipedia.org/wiki/David_hume

São Leão o Grande

390-461

15.Carlos Magno

2.julho

http://en.wikipedia.org/wiki/Pope_Leo_I

Mazzarino

1602-1661

17.Frederico

21.novembro

http://pt.wikipedia.org/wiki/Mazarino

Plínio o Moço

61-116

18.Aristóteles

15.março

http://fr.wikipedia.org/wiki/Pline_le_Jeune

Samuel Richardson

1689-1761

20.Shakespeare

29.setembro

http://en.wikipedia.org/wiki/Samuel_Richardson

Tácito

61-120

20.Aristóteles

17.março

http://fr.wikipedia.org/wiki/Tacite

FONTE: “Apêndice” de Apelo aos conservadores (autoria de Augusto Comte; Rio de Janeiro: Igreja Positivista do Brasil, 1899), organizado por Miguel Lemos.

NOTAS:

  1. Os nomes em itálico indicam os tipos adjuntos, considerados titulares nos anos bissextos.
  2. Os nomes em letras maiúsculas indicam chefes de semana ou de mês.
  3. As datas de vida reproduzem as indicadas por Miguel Lemos no “Apêndice” ao Apelo aos consevadores; algumas delas podem ter sofrido correção desde 1899, a partir de pesquisas historiográficas.
  4. Os artigos da Wikipédia foram selecionados basicamente em português, mas em diversos casos ou só havia em outra(s) língua(s) ou eram melhores em outra(s) língua(s) (francês e inglês, mas também espanhol e italiano).

02 janeiro 2011

1º de janeiro - Festa da Humanidade

A Humanidade

Autor: Eduardo Sá.

Fonte: Auguste Comte et le Positivisme (http://membres.lycos.fr/clotilde/images/humanity.jpg).


O ano novo não é apenas a mudança de ano, alterando um pouco nosso calendário. O dia 1º de janeiro é mais que isso: é o dia da fraternidade universal, a Festa da Humanidade.


O ano novo faz-nos pensar no que fizemos e no que podemos fazer. Conhecendo o passado, preparamos o futuro, ao melhorar o presente.


Assim, desejo um 2011 com paz, justiça e prosperidade: com amor, ordem e progresso.